Fiche n°139

A Poitiers, la préfecture de région mobilise le contrat d’engagement republicain contre la compagnie de théâtre Arlette Moreau

Présentation

Après plusieurs années de collaboration avec la Direction régionale aux droits des femmes et à l’égalité (DRDFE), en 2023, la compagnie Arlette Moreau n’est plus subventionnée pour son projet sur les violences sexistes et sexuelles. Un refus motivé par un bilan incomplet mais également par une violation du contrat d’engagement républicain. En cause notamment : un spectacle critique des méga bassines. Ce refus de subventions s’inscrit dans un contexte de sanction des mouvements écologistes sur le territoire. Cette fois, la mention du CER rend possible un recours.

Description

En 2021, la direction régionale aux droits des femmes et à l’égalité (DRDFE) avait subventionné à hauteur de 17 425 € la compagnie de théâtre poitevine Arlette Moreau. Dès lors, la compagnie est reconnue par la préfecture de Nouvelle Aquitaine pour son engagement pour “l’égalité entre les femmes et les hommes” avec son spectacle Desopressor 3000. Joué sur place publique, ce théâtre forum sollicite les passant·es pour réagir à des situations de misogynie ou de violence sexistes et sexuelles.

Arlette Moreau se définit comme une compagnie de “théâtre à réaction”. Membre du réseau Théâtre de l’Opprimé, la compagnie souhaite “encourager un monde plus inclusif, plus vif où le respect des droits du vivant est plus haut que n’importe quoi d’autre” notamment en utilisant le théâtre forum. “Le Théâtre Forum nous permet de tester des réactions dans un cadre sécurisé, de détricoter les oppressions, de s’empouvoirer pour être plus à même de changer les choses dans la vraie vie.”

Forte de son succès, Arlette Moreau constate une augmentation de la demande de représentation pour son spectacle Desopressor 3000 et envisage des mini-tournées pour répondre, entre autres, aux sollicitations d’établissements scolaires.

En mai 2023, la compagnie souhaite soutenir l’évolution du projet et dépose une nouvelle demande de subvention à la DRDFE accompagnée de son rapport d’activité. Le projet a été travaillé avec la direction régionale qui avait assuré son soutien.

Le 21 juillet 2023, la compagnie reçoit une notification de refus à leur demande de subvention motivée par un bilan incomplet ainsi que le non-respect du contrat d’engagement républicain : « Le rapport d’activité ne fait pas le bilan des actions réalisées et financées […] mais fait état d’engagements militants non conformes au respect des lois de la République consigné dans le CER (contrat d’engagement républicain) et portant sur d’autres actions »

Pour ce qui est du rapport d’activité, ce dernier vient détailler six projets parmi lesquels le Desopressor 3000. Un bilan et une projection du projet occupent trois pages du rapport sur dix-sept.

La mention du CER, elle, vient semer le trouble et amène les avocat·es à dénoncer un “motif politique” qui s’apparenterait à de la “censure”. En effet, la mention des “engagements militants non conformes aux respects des lois de la République” porte une charge lourde sur l’association qui aurait donc dérogé aux principes républicains portés par la loi du 24 août 2021.

La compagnie est engagée et porte depuis 2015 de nombreux projets qui peuvent être considérés comme militant par exemple sur la question de l’enfermement des personnes exilées ou les violences sexistes et sexuelles. Jusque-là ces projets parfois en collaboration avec des associations n’avaient pas été considérés hors du cadre républicain.

Si les membres de la compagnie se questionnent, les avocat·es identifient un projet dont le sujet a déjà été mis en cause par la loi “séparatisme”. En effet, dans son rapport d’activité la compagnie détaille un spectacle de rue sur les méga-bassines. La mise en scène vise à l’interpellation des citoyen·nes à qui les comédien·nes proposent de l’urine de préfet pour s’hydrater. L’idée est de dénoncer l’accaparement de l’eau par l’industrie agricole qui se fait au détriment d’un accès pour tous·tes à l’eau potable. L’urine serait donc la solution pour boire à l’avenir. Le codirecteur artistique de la troupe revendique une forme d’humour impactant qui provoque la réaction des passant·es.

Les avocat·es font le lien avec l’affaire d’Alternatiba Poitiers et le CER mais aussi plus largement l’ensemble des suppressions de subventions aux associations proches des mouvements anti-bassines en Nouvelle Aquitaine.

Suite à des sollicitations journalistiques, la préfecture rappelle que l’obtention de subventions n’est pas automatique. Une première fois, une agente de la préfecture dit ne pas connaître les motifs d’atteintes aux valeurs de la République (CER). Le service de la préfecture régionale met par la suite l’accent sur le non-respect des règles d’attribution. Pour cette administration, la compagnie a avant tout rendu un rapport incomplet et n’a pas communiqué le bilan des actions subventionnées par l’État. La préfecture pointe également un contexte budgétaire compliqué et la qualité des projets concurrents.

La compagnie par le biais de ces avocat·es dépose un recours au Tribunal Administratif de Bordeaux. Une action en justice qui est permise par une décision prise au titre du contrat d’engagement républicain et ce à la différence de beaucoup de refus de subventions.

Le 6 mars 2024, un groupement d’organisations qui s’engagent contre les atteintes aux libertés d’association, d’expression et de création dépose une intervention volontaire au soutien de la requête en annulation de la décision. À travers cette démarche, la LDH, la Cimade, le Cac, le Dal, le Gisti, le Mrap, le Saf et l’Ufisc poursuivent leur engagement critique envers le contrat d’engagement républicain.

Type d'action collective sanctionnée

Représentation théâtrale.

Institution responsable

Préfecture de Nouvelle Aquitaine, Préfecture de la Vienne, Direction Régionale aux droits des femmes et à l’égalité de Nouvelle Aquitaine.

Conséquences pour l’association

Précarité, impossibilité d’embaucher un salarié.

Sources

"Refus de subvention de la Compagnie de théâtre Arlette Moreau : les associations se mobilisent", Ligue des droits de l’homme, 26/03/2024.
"Des nouvelles de la compagnie théâtrale Arlette Moreau", Blogs de Mediapart, 15/03/2024.
"Subvention refusée : 
la préfecture se justifie", Le 7.info, 10/10/2023.
"Une compagnie de théâtre de Poitiers se voit refuser une subvention, son avocat dénonce "un motif politique"", France Bleu, 06/10/2023.
"Poitiers : la compagnie Arlette Moreau privée de subvention par la préfecture de région", La nouvelle république, 03/10/2023.
"Une compagnie de théâtre privée de subventions pour « séparatisme » après avoir proposé de « l’urine de préfet » aux passants", Mediapart, 30/09/2023.

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