Fiche n°141

À Poitiers, le Tribunal Administratif rejette le déféré du préfet : l’association Alternatiba n’a pas enfreint le CER et peut être subventionnée

Présentation

En septembre 2022, Alternatiba Poitiers organise le Village des Alternatives. Pour ce faire, l’association est subventionnée par la Ville de Poitiers et la communauté Grand Poitiers. Opposé à ce financement public, le préfet de la Vienne dépose deux déférés contre les collectivités locales qui refusent d’enclencher une procédure de restitutions des subventions. Il accuse l’association d’avoir rompu son contrat d’engagement républicain (CER) en organisant des ateliers de formation à la désobéissance civile. Le tribunal administratif rejette les déférés et opère un premier cadrage concernant l’application du CER.

Description

Les 24 et 27 juin 2022, le conseil de la communauté urbaine Grand Poitiers et le conseil municipal de Poitiers ont délibéré sur une demande de subventions de la part de l’association Alternatiba Poitiers. Cette dernière organise à la fin de l’été la deuxième édition du Village des Alternatives, un événement festif autour des enjeux climatiques. Le conseil communautaire accorde une subvention de 5000 € et le conseil municipal, un financement de 10 000€. Pour recevoir ces subventions, l’association a souscrit au contrat d’engagement républicain (CER) devenu obligatoire en janvier de la même année. Les collectivités ont ensuite transmis au préfet de la Vienne leurs délibérations, accompagnées de leurs annexes : une description détaillée du projet et du programme de la manifestation.

Le 31 août 2022, Alternatiba diffuse le programme officiel du Village des Alternatives. L’association prévoit un village divisé en neuf espaces thématiques, l’un d’entre eux est intitulé “Quartier Résister” et contient tout un programme de conférences, débats et ateliers qui vient questionner les manières de lutter. Les différentes activités mettent en discussion les modes de luttes, la légalité et la poursuite de l’intérêt général à travers des enjeux locaux autour de l’eau mais aussi autour des droits humains. Le préfet, Jean-Marie Girier, découvre alors la tenue d’un atelier de formation à la désobéissance civile qui n’était pas dans les annexes.

Les 12 et 13 septembre 2022, le préfet a adressé un courrier à la maire de Poitiers puis à la présidente Grand Poitiers. Il y fait savoir que, selon lui, la formation sur la désobéissance civile est incompatible avec les principes du CER. Notamment concernant le premier engagement qui impose aux associations de ne pas “entreprendre ni inciter à aucune action manifestement contraire à la loi, violente ou susceptible d’entraîner des troubles graves à l’ordre public”. Mais également le numéro 5 sur la fraternité et la prévention de la violence. Selon le préfet, cet atelier incite à “un refus assumé et public de respecter les lois et règlements”. Il ajoute que la subvention était dénuée “d’intérêt public local” et conclut en invitant les deux responsables à informer au plus vite les deux conseils et à entreprendre une procédure de restitution des subventions.

Le 14 septembre, l’information est relayée dans la presse locale et l’association Alternatiba Poitiers se réunit pour faire un point sur la situation à deux jours du début de l’événement. Les organisateurs et organisatrices diffusent un communiqué dans lequel ils et elles saluent le soutien financier et logistique de la ville et de la communauté urbaine. Ils et elles rappellent que l’événement s’inscrit dans une cohérence avec la charte de l’association. Cette charte contient un passage sur les valeurs : “la dynamique des Alternatiba travaille à la construction d’un monde plus humain et plus solidaire. Cet objectif est incompatible avec les idées et comportements xénophobes, sexistes, homophobes, excluants, discriminatoires, anti-démocratiques ou violents.” L’association rappelle également que tous les acteurs et actrices qui participent s’inscrivent dans ce socle commun. Le 15 septembre, la députée EELV de Poitiers Lisa Belluco défend la désobéissance civile et interpelle le préfet et le gouvernement sur l’inaction climatique. La question du CER, devenue concrète, se révèle être un enjeu de position politique multiscalaire.

Le 16 septembre, la maire de Poitiers, Léonore Moncond’huy, réagit à la demande du préfet par un communiqué de presse. Dans ce texte, elle réaffirme son soutien à Alternatiba Poitiers et dénonce la mesure disproportionnée du préfet à l’encontre de deux journées qui se veulent “ouvertes, familiales et largement fédératrices, non-violentes, et sans aucun risque de trouble à l’ordre public”. La première édile rappelle l’opposition de nombreuses associations et de nombreux partis politiques, dont le sien, EELV, au contrat d’engagement républicain. En dénonçant la remise en cause du droit d’Alternatiba à questionner et à former autour de la désobéissance civile, elle pointe une “conception de la république qui s’effrite” et mobilise de nombreuses références de ce mode d’action, de Gandhi à Jean Moulin. Elle convie les poitevins et poitevines à se rendre à l’évènement. Le 20 septembre le ministre de l’intérieur exprime son soutien au préfet devant la commission des lois.

Le 21 septembre, le Mouvement Associatif publie un communiqué dans lequel il réaffirme son opposition au contrat d’engagement républicain. Le monde associatif s’empare de cette mise en pratique de ladite loi séparatisme qui vient confirmer des craintes antérieures.
Réunis les 30 septembre et 3 octobre 2022, les deux assemblées délibérantes décident de ne pas engager de procédure contre l’association et de maintenir la subvention.
En conséquence, le préfet saisit le tribunal administratif de Poitiers le 28 octobre 2022 via deux déférés. L’autorité administrative demande au tribunal d’ordonner le retrait des deux subventions voir d’y contraindre financièrement les deux assemblées. Il fonde, entre autres, sa requête sur l’absence d’intérêt public local et sur une souscription tardive de l’association au CER. On note ici que dans les déférés, le préfet ne se réfère pas aux mêmes textes législatifs que dans son courrier adressé aux assemblées. Le 2 novembre, la ville de Poitiers, le Grand Poitiers et Alternatiba Poitiers se constituent en défense. Le 10 février 2023, le tribunal administratif de Poitiers reçoit l’intervention volontaire en soutien de la défense d’une large coalition associative composée de la Ligue des droits de l’homme, Anticor, la Cimade, le collectif des associations citoyennes, le comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation populaire, la Fasti, la Fédération droit au logement, le Gisti, la ligue de l’enseignement, le mouvement associatif, le MRAP, le syndicat des avocats de France, le syndicat de la magistrature, et l’union syndicale Solidaires. Le 16 juin 2023, Greenpeace, France Nature environnement, Notre affaire à tous, Action non violente Cop 21, Attac et la fédération Réseau sortir du Nucléaire se joignent également à la défense par un mémoire en intervention volontaire.
Suite à l’audience du 9 novembre, le tribunal administratif de Poitiers rends public sa décision le 30 novembre. Il rejette les déférés du préfet et, par là même, considère que la Ville de Poitiers et le Grand Poitiers étaient en droit de maintenir les subventions attribuées à Alternatiba pour l’organisation du Village des alternatives.
Le jugement rendu fait jurisprudence. Dans sa décision, le juge administratif a écarté plusieurs arguments invoqués par le préfet sur l’illégalité de l’attribution. Ce dernier avait remis en cause la compétence de la ville pour subventionner Alternatiba. Bien qu’en effet, c’est Grand Poitiers qui dispose de la compétence en matière de “qualité environnementale” les délais de recours étaient passés au moment où les déférés ont été déposés. De plus, le tribunal administratif a été saisi pour juger la procédure de retrait pas celle d’attribution. Comme susmentionné, lorsque le préfet a demandé aux assemblées d’enclencher une procédure de retrait, il a contesté l’intérêt public de la subvention en se basant sur un critère qui est compris dans la loi du 12 avril 2000. Cependant, les déférés ont été déposés sur les fondements du code de relations entre le public et l’administration (CRPA). Le tribunal n’a donc pas donné suite aux requêtes du préfet sur l’intérêt public local ou la souscription tardive du CER dans la mesure où ce sont des revendications exprimées à l’aune de la loi du 12 avril.
Une fois ces arguments écartés, le tribunal a pu se concentrer sur le fond et contrôler la thèse des manquements au CER avancée par le préfet. Dans ses conclusions, la cour semble s’inscrire en faveur de la protection de libertés associatives.
La première décision en ce sens, c’est l’interprétation de l’engagement n°1 rendu par la cour. Cette dernière a considéré que la liste d’action contenue dans cette partie du contrat revêtait un caractère cumulatif. C’est-à-dire que, quand bien même Alternatiba organise un atelier de désobéissance civile et, par là même, s’inscrit dans une démarche manifeste de contestation de la loi, il aurait fallu que l’événement entraîne aussi de graves troubles à l’ordre public pour rompre l’engagement signé. L’atelier, qui s’est déroulé dans un esprit de partage et a consisté en des mises en scène de “déroulement de banderole pendant un meeting”, n’a pas entraîné de désordre public. Seule, l’opposition à la loi ne suffi pas pour caractériser un manquement au CER.
De plus, le juge apprécie le respect du CER uniquement pour l’activité qui a fait l’objet de subvention, içi le Village des Alternatives. Ainsi, seules les actions et les positions prises par l’association en dehors du délai entre l’attribution de la subvention et la manifestation sont regardées. Dès lors, si le préfet a dans son mémoire mis en avant la participation d’Alternatiba aux manifestations qui ont eu lieu à Saint-Soline celà ne peut être retenu dans ce contentieux. Ces actions sont considérées comme étrangères à l’activité subventionnée.
Pour conclure sur l’appréciation des faits d’incitation à la désobéissance civile, le TA a regardé les propos tenus lors de l’atelier « Face au dérèglement climatique et son impact sur la ressource en eau : les bassines sont-elles une solution ? ». La juridiction administrative a conclu que l’engagement n°5 ne pouvait être mobilisé. Celui-ci comporte une liste de personnes qui peuvent être responsables d’un manquement de l’association “dirigeants, salariés, membres et bénévoles de l’association” au cours de l’événement subventionné. Or le TA a apprécié le fait que lors de ce débat, ce sont des intervenants extérieurs à l’association qui ont encouragé à la désobéissance civile sur les chantiers de Sainte-Soline. Au-delà, cette discussion s’est inscrite dans le cadre d’un débat contradictoire et donc que l’association n’a pas davantage cautionnée ces propos.
Enfin, le tribunal administratif de Poitiers s’est accordé sur le fait que l’ensemble de la manifestation devait être considéré pour juger le manquement au CER et, qu’en l’état des choses, les activités précitées étaient une partie subsidiaire de l’événement. Pour le TA, l’événement dans son principe et dans son ensemble ne compromet pas les engagements du contrat souscrit par Alternatiba Poitiers.

Par ce jugement, la juridiction pictave s’inscrit dans le sillage du Conseil d’Etat et semble considérer que le conditionnement des subventions publiques au CER peut consister en une forme d’ingérence à la liberté d’association et de contre pouvoir. Il apprécie strictement la proportionnalité entre liberté d’association et le maintien de l’ordre. Seulement, si cette posture s’engage contre des formes ingérences rendues par grâce au pouvoir discrétionnaire, nous ne pouvons que constater qu’ici le tribunal a évité de se prononcer sur le caractère manifestement contraire à la loi de l’atelier de formation. En outre, si le tribunal reconnaît qu’une formation à la désobéissance civile n’est pas une incitation à troubler gravement l’ordre public, il ne s’est pas prononcé factuellement sur un acte de désobéissance civile. Au-delà, cette affaire met en exergue les tensions existantes entre l’État et les collectivités territoriales qui s’inscrivent dans un contexte local tendu autour de la gestion de l’eau.

Type d'action collective sanctionnée

  • Organisation du village des alternatives. Atelier débat et formation sur la désobéissance civile.

Institution responsable

  • Préfecture de la Vienne

Conséquences pour l’association

  • Poursuite judiciaire.

Sources

"Subventions à Alternatiba Poitiers : rejet des déférés du préfet de la Vienne", Tribunal administratif de Poitiers, 29/11/2023.

"Subvention à Alternatiba : le tribunal administratif de Poitiers se penche sur la question", Mediapart, 08/11/2023.

"Le tribunal administratif de Poitiers préserve un droit à la désobéissance civile", Mediapart, 30/11/2023.

"Contre des ateliers de « désobéissance civile », le préfet de la Vienne dégaine la loi « séparatisme »", Mediapart, 20/09/2022.

"Préfet de Poitiers 0 – 1 Désobéissance civile", Alternatiba, 30/11/2023.

"Justice : Alternatiba Poitiers gagne face à un préfet macroniste", Reporterre, 04/12/2023.

"Subventions à Alternatiba : le préfet de la Vienne perd son bras de fer contre Poitiers et Grand Poitiers" France Bleu, 30/11/2023.

"Alternatiba : la requête du préfet de la Vienne mal engagée devant le tribunal administratif de Poitiers", France Bleu, 09/11/2023.

"Subventions à Alternatiba Poitiers : les déférés du préfet rejetés", La Nouvelle République, 30/11/2023.

"Affaire Alternatiba : la rapporteure publique conclut au rejet de la requête du préfet de la Vienne", La Nouvelle République, 09/11/2023.

"Atelier de désobéissance civile à Poitiers : le préfet demande le retrait des subventions", La Nouvelle République, 14/09/2022.

"Désobéissance civile. Après le vote du Conseil municipal, la Ville de Poitiers maintient sa subvention à Alternatiba", France 3, 03/10/2022.

""Et si désobéir était reconnu d’intérêt général ?" La préfecture n’apprécie pas et demande de retirer les subventions publiques à Alternatiba Poitiers", France 3, 16/09/2022.

"Désobéissance civile. Subventions d’Alternatiba : "Ce n’est pas surprenant que ce soit une association écologiste qui soit ciblée"", France 3, 21/09/2022.

"La maire de Poitiers dénonce "une conception de la République qui s’effrite"", La Nouvelle République, 16/09/2022.

"Devant la commission des lois, Gérald Darmanin apporte son soutien au préfet de la Vienne", La Nouvelle République, 20/09/2022.

"Contrat d’engagement républicain : Le Mouvement associatif alerte", Le Mouvement associatif, 21/09/2022.

"Le CAC se joint à la procédure d’intervention volontaire dans l’affaire « Alternatiba-Poitiers »", Collectif des associations citoyennes, 05/01/2023.

"Commentaire de la décision "Alternatiba"", Tribunal administrative de Poitiers, 17/05/2024.

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