Fiche n°74

A Roubaix, un restaurant solidaire menacé de fermeture par les coupes de subvention municipales

Présentation

Créée en 1995 dans le quartier de l’Epeule à Roubaix, le restaurant solidaire l’Univers qui sert près de 150 repas par jour, du lundi au vendredi, à un tarif modique, en direction d’une populations précarisées, est depuis 2018 menacé de fermeture en raison de la baisse des subventions municipales. Pétition, déclarations dans la presse, organisation de manifestation : l’association dénonce une répression face au profil du président et au répertoire d’action de l’association. Du côté de la municipalité, on invoque des problèmes techniques.

Description

Restaurant solidaire créé en 1995, l’Univers sert près de 150 repas par jour, le midi, du lundi au vendredi, à un tarif modique, en direction en particulier de populations précarisées, qui viennent y chercher à la fois un repas équilibré et une forme de réconfort moral ainsi que des liens de sociabilité, le restaurant étant connu localement pour son ambiance chaleureuse. L’association emploie 8 salariés dont 3 à temps plein, principalement des emplois d’insertion, pour assurer en particulier la cuisine et le service. Le local comme le personnel requiert donc l’octroi de subventions publiques. Si l’Univers vit bien sous les différentes mandatures socialistes qui se succèdent jusqu’en 2014 – ainsi que le dit un des anciens dirigeants de l’associations

« Avant, avec Vandi [René Vandierendonck, maire socialiste de Roubaix de 1994 à 2012], ça allait bien, c’était du clientélisme vis-à-vis des quartiers (…) c’était la politique du grand frère, on arrosait les associations »

2018 :
Avec l’arrivée d’une nouvelle majorité municipales en 2015, celle de Guillaume Delbar (LR), l’association connait une dégradation de sa situation financière. De 40.000 euros d’aides de la ville en 2015 (subventions de fonctionnement et contrats de ville), elle est tombée à 18 900 euros en 2018. Cette baisse de subventions municipales va conduire à un conflit assez fort avec la ville. Le président de l’association, Marc Dubrul, déclare ainsi en mai 2018 dans la presse :

« Vues nos difficultés financières, on voulait demander une rallonge de 30 000 euros et finalement, on nous a mis 10 000 euros de moins ! Dans l’état, si on n’a pas 40 000 euros en plus, on ne peut pas continuer. On ne peut pas fonctionner avec du personnel en moins. »

L’association lance alors une pétition pour demander la restauration des subventions, qui recueille plusieurs centaines de signatures. Si cela contribue à tendre les relations avec la municipalité décide fin 2018, une avance de 20.000 euros sur la subvention 2019. Il faudra cependant une menace de manifestation fin 2018 à l’occasion d’une séance du conseil municipal pour que celle-ci soit actée suite à un rendez-vous avec le maire.

2019 :
La situation de l’association n’en demeure pas moins précaire et au printemps 2019 la question de la survie financière de l’association est de nouveau posée. En effet, la municipalité refuse de revenir au niveau des subventions en vigueur avant 2018. Elle argue cependant qu’il s’agit essentiellement d’un problème technique et des co-financements potentiels.
« La ville n’a identifié aucune mission [à l’Univers] qui entre dans ses domaines de compétences », avant l’adjoint à l’action sociale en avril 2019, « estimant qu’il est donc d’abord du ressort de l’État et du Département d’attribuer des subventions supplémentaires aux titres de l’accueil de jour et de l’insertion. « La ville viendrait alors en complément ». Par ailleurs, la municipalité encourage l’association à changer de quartier de résidence, alors qu’elle est propriétaire du local qu’elle utilise.
L’association offre une autre interprétation de ces difficultés.

A ces yeux, cette restriction du soutien institutionnel apporté à son activité tient d’une volonté de « nettoyer le quartier ».

« Ca fait tâche d’avoir un truc de pauvre ici » avance le président en entretien. « La mairie veut faire partir les pauvres que nous on aspire. »

Il interprète tant la proposition de relocalisation de l’association que la baisse des subventions à la lumière du projet de rénovation urbaine qui touche le quartier de l’Epeule où elle est historiquement implantée :

« le maire veut changer la population de Roubaix ». En effet, le quartier est ciblé par un projet de l’ANRU, et la municipalité souhaite se saisir de cette occasion pour transformer ce quartier peuplé de nombreux magasins ethniques (supermarché halal, marché, boutiques diverses) et ainsi « changer l’image du quartier » .

Le geste fait par la municipalité en 2019-2020 est interprété comme une façon de ne pas condamner l’association avant les élections européennes puis municipales, prévues à cette époque. Comme le dit le président : « On s’attend à se faire avoir après les élections ».

Cette précarité financière, ainsi que les relations tendues avec la municipalité vont avoir des conséquences importantes sur l’activité de l’association. Alors que son président entre 2016 et 2019 est un militant local bien connu – candidat pour le NPA aux élections municipales en 2020 et participant très investi au sein du mouvement des Gilets Jaunes – le conflit avec la municipalité incite le président a passé la main, sentant que ses engagements politiques pouvaient nuire à l’association. Le nouveau président défend aujourd’hui une posture « d’apolitisme » sans quoi les « financeurs vont déguerpir » .
Alors que l’ancien Président avait poussé des usagers de ce restaurant solidaire a participé à des manifestations face à l’Hôtel de ville pour dénoncer les coupes de subventions, ou invité certains à s’investir au sein du mouvement des Gilets jaunes dont il était un des leaders local , ces formes de travail de politisation n’ont désormais plus cours au sein de l’association, qui entretient un cloisonnement net entre ses activités sociales – fournir des repas de qualité à des prix modiques – et toute forme d’engagement politique. La restriction financière apportée à l’autonomie associative ne favorise pas l’engagement civique. Par ailleurs, l’Univers cherche aujourd’hui à diversifier ses financements : il a bénéficié d’une campagne de crowdfunding (lui permettant de rassembler quelques milliers d’euros) et envisage désormais de se tourner vers des financements de fondations.

Type d'action collective sanctionnée

Un discours : déclarations dans la presse, pétition, menace de manifestation lors du conseil municipal.

Institution responsable

Maire de Roubaix

Sources

Entretien avec le président de l’association Marc Dubrul, 07/12/2019.

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