2010 :
Dans la commune populaire de Lormont, en banlieue bordelaise, la mobilisation du collectif « Vivre ensemble l’égalité » au sein du centre social de la ville prend la forme d’une réflexion sur l’histoire de France, la décolonisation et les discriminations que subissent les descendants de l’immigration. Le collectif réalise notamment un film, Décolonisons l’histoire, qui retrace le parcours de quatre figures de la lutte anti-coloniale. La démarche du centre social s’inscrivait dans la volonté de la Fédération des centres sociaux, à l’échelle nationale, de promouvoir « le pouvoir d’agir des habitants », tout comme celle du ministère de la Ville de s’attaquer à l’enjeu discriminatoire suite aux révoltes de 2005.
Ses actions, au départ soutenues par l’ensemble des institutions – l’État, la CAF, et la municipalité – vont devenir de plus en plus conflictuelles. Elles suscitent des réticences, voire de franches oppositions, d’abord au niveau local :
« On a vite eu une super mauvaise image », explique Mourad, un membre du collectif lors d’un entretien en 2015. « Alors qu’au niveau national on était reconnus pour le pouvoir d’agir des habitants, l’engagement des jeunes, etc. » Avant de relater plus en détail la relation avec la municipalité : « La mairie, j’ai eu des rendez-vous, ils m’ont dit "est-ce que tu peux arrêter s’il te plaît de revendiquer tout ça ?". On m’a offert des chocolats. C’est parti loin. (…) On me reprochait de ne pas dire aux jeunes de se remettre en cause eux, mais de remettre en cause la société, en fait. C’est ça qu’on m’a beaucoup reproché. Le fait de mobiliser pour remettre en cause la société dans laquelle on vit, parce qu’apparemment dans la société, tout va bien, elle est parfaite, tout roule. »
Le collectif se heurte à des attaques violentes, critiqué pour se complaire dans une « posture victimaire » : « On était au séminaire et on entendait : "Mais c’est un cliché, arrêtez de vous poser en victimes !" » On a également reproché au collectif de « susciter la violence » en abordant frontalement le racisme de la société française, voire de faire le jeu du Front national.
Soutenant initialement la démarche, l’État s’en détourne progressivement, ce dont vont pâtir les salariés du centre social qui portaient le projet en interne. La directrice se souvient : « On nous a reproché de vouloir manipuler les jeunes du collectif pour des raisons politiques, de se servir d’eux pour faire passer nos idées ou faire parler de nous ».
L’investissement en faveur de la cause palestinienne de certains animateurs apparaît également suspicieux. Avec le changement de délégué du Préfet, la bienveillance se mue en incompréhension. Selon un des animateurs :
« Le nouveau délégué du Préfet, c’est un ancien flic, qui n’est pas très ouvert. (…) Il ne rigole pas, faut pas toucher à la police, faut pas critiquer la police. On avait siégé aussi une préparation relation police-population, c’était un chantier national, on a commencé à critiquer un peu, on a vite été éjectés, on ne recevait plus les invitations pour aller aux réunions. »
Les termes de « discrimination d’État » ou encore de « racisme d’État », auraient été employés lors d’une réunion avec le délégué du Préfet et auraient finalement justifié le coup d’arrêt donné au projet.
2013 :
Christophe Demilly, le directeur girondin de la CAF déclare dans une édition de Sud Ouest :
« Nous avons de fortes interrogations sur l’animation du centre social et nous constatons que l’équipe est aujourd’hui divisée ».
En fin d’année, le centre social perd finalement son agrément CAF, soit des dizaines de milliers d’euros de financement. S’en suit le licenciement économique de six salariés, le centre social n’ayant plus les moyens de les payer. La directrice est également mutée. Le projet Vivre ensemble l’égalité en est resté là, de nombreux jeunes s’estimant désormais vaccinés de tout engagement politique. Le nouveau directeur a tiré les leçons de cette affaire qui a plongé le centre dans une importante crise et tente de ne pas reproduire ce qui a coûté son poste à sa prédécesseuse.