Fiche n°125

Disqualifications et menaces de suppression d’agréments pour l’association Coexister

Présentation

Créé en 2009, Coexister est un mouvement inter-convictionnel de jeunesse et d’éducation populaire. En 2020, l’association se fait disqualifier publiquement par des journaux (Causeur, Valeurs Actuelles, Le Point) l’accusant d’être influencée par les Frères Musulmans et le relai d’un islamisme politique. La reprise d’une partie de ces accusations par des responsables politiques nationaux fait risquer la perte d’agréments et de subventions publiques.

Description

I - Contexte et description des faits

Le 14 octobre 2020, le magazine Causeur publie un article sur l’association Coexister alertant sur des potentielles collusions entre l’association et le mouvement des Frères musulmans [1]. Deux jours plus tard, le 16 octobre, Samuel Paty, professeur d’histoire géographie au collège du Bois-d’Aulne à Conflans Saint-Honorine, est assassiné par arme blanche devant son lieu de travail. Cet attentat a donné lieu les jours suivant à une violente controverse médiatico-politique autour du rôle des « complices du terrorisme ». Quelques jours plus tard, le 30 octobre 2020, le journal Valeurs Actuelles publie un article qui accuse entre autre l’association de soutenir des « organisations islamistes » comme Barakacity [2] .
Le 25 novembre 2020, le journal Le Point publie un article qui fait le lien entre les accusations des deux magazines d’extrême droite et une discussion quelques jours plus tôt, le 22 octobre, à Poitiers entre Sarah El Hairy, secrétaire d’État chargée de la Jeunesse et de l’Engagement, et une centaine de jeunes organisée par la Fédération des centres sociaux et socio-culturels (FCSF) [3] . L’association Coexister était présente à cet événement par l’intermédiaire de sa présidente, Radia Bakkouch. Il lui a été reproché sa présence à cette journée et son absence de réaction ainsi que sa conception de la laïcité. Dans ce sens, Marlène Schiappa, Ministre déléguée chargée de la Citoyenneté affirme dans l’article du Point : « Il y a manifestement un malentendu sur le projet de Coexister qui semble en apparence bien sympathique, mais qui défend davantage les relations interconfessionnelles que la laïcité. » A la suite de cet événement à Poitiers et dans le cadre de l’inspection générale, l’association Coexister a reçu un avis défavorable à sa demande d’agrément « Education nationale ». Le 1er décembre 2020, le magazine Causeur confirme également la possibilité pour l’association de « perdre l’agrément “Jeunesse et éducation populaire” qui lui permettait jusqu’à présent d’intervenir en milieu scolaire. Dommage collatéral, la perte de subventions conséquentes. » L’article du 1er Décembre accuse également l’association d’être « un lobby discret mais puissant, qui s’active depuis des années pour que l’enseignement public ménage une place aux croyances à côté des savoirs. »

III - Les accusations de proximité avec l’islamisme

La tribune « Nous sommes unis »

Au centre des accusations de « proximité » ou de « liaisons ambigües » de l’association avec les frères musulmans, une tribune initiée avec d’autres par l’association à la suite des attentats du 13 novembre et intitulée « Nous sommes unis ». Une tribune signée notamment par Samy Debah, président du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), Anas Saghrouni, président des Etudiants musulmans de France (EMF), ou encore l’écrivain Nabil Ennasri.

Soutien de Samuel Grzybowski à Barakacity

Mais également le soutien en 2014 de Samuel Grzybowski, le président de Coexister, à l’association humanitaire Barakacity, depuis dissoute. En 2014, sur Twitter, le président de Coexister annonce quitter la banque CIC en solidarité avec l’association Barakacity : « Ce WE le conseil d’administration de @AssoCoexister a voté le départ du CIC notre banque depuis 4 ans par solidarité avec @Barakacity ».

Minorer l’islamisme

On reproche également à l’association d’avoir minorer l’islamisme à travers les propos de son ancien président : « L’islamisme en tant que mouvement politique n’est pas significatif. C’est un mouvement très marginal de la société française, mais qui a une capacité de nuisance et d’action considérable. Mon inquiétude, c’est que le gouvernement surestime le poids de l’islamisme politique, et c’est aussi ça qui fait sa force. »

IV - Les réponses de l’association

Sur les accusations de « proximité » avec les frères musulmans

Dans son droit de réponse à Valeurs actuelles, Coexister explique : « Nous avons pris connaissance avec consternation et circonspection des propos tenus à notre égard dans l’article du 30 octobre 2020. Avant de répondre à chacune de ces assertions, nous souhaitons en premier lieu rappeler que Coexister est un mouvement interconvictionnel de jeunesse et d’éducation populaire, reconnu d’intérêt général, permettant à des jeunes croyants et non croyants de créer du lien social et de favoriser un mieux vivre ensemble. Comme le stipulent sans équivoque nos statuts, Coexister est ainsi « un mouvement laïque, aconfessionnel et apartisan ». Pour garantir l’égalité, nous luttons contre toutes les oppressions systémiques et les discriminations, en particulier celles à caractère religieux ou convictionnel. Nous soutenons la pleine indépendance de la République vis-à-vis de toute idéologie ou pression qu’elle soit cultuelle et religieuse et excluons toute vision sociale théocratique. De fait, il y a donc une incompatibilité viscérale entre notre engagement et la pensée frériste que nous rejetons en bloc. Nous ne cessons de le répéter et nous continuerons inlassablement à le faire : ni Coexister ni Samuel Grzybowski à titre particulier n’ont jamais eu aucun rapport avec les Frères musulmans et n’ont jamais entretenu la moindre relation avec cette organisation. » A titre personnel, Samuel Grzybowski indique : « Je condamne de toute ma force la pensée frériste. Je n’ai aucune amitié personnelle ou idéologique avec ceux que je considère être à l’extrême droite de l’Islam. » [4]
Concernant les pétitions et présentations communes avec les Étudiants musulmans de France (EMF) et l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), accusés d’être des relais des frères musulmans en France : Samuel Grzybowski indique dans l’article du Point « moi, je m’interroge de savoir pourquoi ils arrivent à rassembler 120 000 musulmans. On fait quoi ? On les laisse dans leur coin macérer leurs vociférations contre la République ou on va à leur rencontre ? Je crois qu’il faut dialoguer. » [5] Le droit de réponse au magasine Causeur indique également : « Si Coexister a pu se rendre par le passé à certaines Rencontres Annuelles des Musulmans de France (RAMF), ces participations n’avez d’autre but que de faire connaître, en toute indépendance, nos activités à l’instar de nombreuses autres associations et universitaires. C’est d’ailleurs dans ce même esprit d’échange que Coexister participe depuis sa création à la lecture des noms des déportés pour Yom Hashoah au Mémorial de la Shoah parisien ou bien encore à la rencontre annuelle des Chrétiens en Grandes Écoles (CGE). Le modèle de société que nous défendons exclut tout modèle théocratique et prône l’absence de domination et d’influence d’une religion sur l’État. En d’autres termes, la République doit demeurer indépendante de toute forme de pression religieuse et convictionnelle. » [6]
Concernant les liens avec le CCIF : « Notre seule collaboration avec le CCIF, ce fut la tribune “Nous sommes unis et nous ne la renions pas. (…) » explique Samuel Grzybowski au Point. « Pour le reste, j’ai trois désaccords fondamentaux avec le CCIF : je suis pour la loi de 2004 sur le port des signes religieux à l’école, pour la loi de 2010 sur la dissimulation du visage dans l’espace public, et je suis contre l’idée selon laquelle le gouvernement criminalise la religion musulmane. (…) S’il y a des éléments juridiques pour le dissoudre, je ne m’y opposerai pas. » [7]

Concernant la tribune « Nous sommes unis »

L’association explique qu’elle a effectivement été « logistiquement portée par des jeunes de Coexister, d’Unis-Cité et de l’AFEV et publiée au surlendemain des attentats du 13 novembre appelant à la cohésion nationale et la vigilance contre la division espérée par les terroristes. Cette tribune a été signée par le Président du Collectif contre l’islamophobie (CCIF) et le Président des Étudiants Musulmans France auxquels l’on reproche d’être proches des Frères musulmans. Mais cette tribune elle a également été signée par 15.000 citoyens anonymes et 90 personnalités d’horizons très divers, telles que l’ex-présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, l’ancien président du Conseil Économique, Social et Environnemental, le Grand Rabbin de France, le Directeur Exécutif du CRIF ou bien encore le Grand Maître du Grand Orient de France. La volonté fédératrice de la tribune avait alors été unanimement saluée, le prix du « meilleur influenceur positif » décerné par Twitter à #NousSommesUnis et l’hashtag projeté sur la Tour Eiffel. L’hashtag est d’ailleurs très régulièrement repris par des personnalités ou organismes de tous bords, comme ce fut par exemple le cas avec l’Équipe de France après l’attentat de Nice en juillet 2016 ou la Mairie de PARIS suite aux attentats de Las Vegas et Marseille en octobre 2017. » [8]

Concernant le soutien de Samuel Grzybowski à Barakacity

L’association précise dans son droit de réponse que Samuel Grzybowski a depuis son tweet de soutien en 2014 « précisé sa pensée en replaçant le message dans son contexte de l’époque ». En effet, dans un article du Nouvel Observateur le fondateur de Coexister explique qu’à l’époque, « Barakacity n’avait pas le passif qu’il a désormais. Aujourd’hui, mon tweet aurait été différent. Toujours est-il qu’on ne peut pas régler un problème ou un désaccord en disant "ils sont infréquentables". Ces gens ont des dizaines de milliers de Français derrière eux. Que fait-on ? Je suis pour que l’on discute argument contre argument. » [9]. C’est également ce que réaffirme Coexister sans ambages sur la Foire Aux Questions développée sur Internet : « Coexister soutient-elle l’association Barakacity ? Non. […] Nous n’avons pas de raison de soutenir une structure fondée en partie sur des principes de l’islam fondamentaliste ».

Sur la vision de la laïcité

L’association explique : « "Être d’accord pour ne pas être d’accord" voilà l’un de nos leitmotivs. Nous estimons qu’il est indispensable de discuter avec ceux qui ne partagent pas nos idées, à la seule condition – essentielle – qu’ils n’aient jamais été judiciairement condamnés. Fervents promoteurs des valeurs et principes républicains, nous assumons ainsi pleinement d’aller les défendre auprès de tous. ».
Par ailleurs, l’association réfute l’expression de « dialogue interreligieux » utilisée par certaines rédactions. De plus, Coexister a également réaffirmé leur volonté de défendre la laïcité, principe républicain et assure que “chaque membre qui rejoint et adhère à l’association s’engage à appliquer la laïcité. » L’association affirme « [favoriser] la coopération interconvictionnelle (et non interconfessionnelle), donc entre personnes de toutes les convictions (croyantes ou non) qui est permise et possible dans un cadre laïque. »
A ce sujet, l’association a publié une courte vidéo pour résumer sa vision de la laïcité.

Institution responsable

Ministère de l’Intérieur, Ministère de l’Éducation nationale

Conséquences pour l’association

Menace sur les subventions, les agréments et les actions en milieu scolaire.

Date