Fiche n°110

Dissolution du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF)

Présentation

Créé en 2003, le Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF) était une association qui luttait contre l’islamophobie via, notamment, une assistance juridique individuelle et la publication de rapports annuels. En octobre 2020, suite à l’assassinat du professeur Samuel Paty, le Ministre de l’Intérieur annonce son intention de dissoudre l’association l’accusant d’être liée à l’attentat et d’être « une officine islamiste œuvrant contre la République ». Le décret de dissolution de l’association publié au mois de décembre 2020 sera confirmé par le Conseil d’État en septembre 2021.

Description

I - Contexte et caractérisation des faits

Créé en 2003 suite à des propos antimusulmans de personnalités politiques et journalistiques, le CCIF est une association qui lutte contre « l’islamophobie » [1]. Elle intervient principalement à deux niveaux :
  un accompagnement juridique aux victimes d’actes islamophobes afin de les aider à faire valoir leurs droits ;
  la production de rapports et d’études qui recensent et analysent les actes, écrits et propos islamophobes afin de faire l’état des lieux de l’islamophobie en France [2].

Le CCIF s’est imposé au fil des années comme un acteur incontournable dans la lutte contre l’islamophobie auprès des institutions nationales et internationales [3]. Toutefois, il fait l’objet de vives critiques, notamment dans le champ politico-médiatique français. Il est depuis quelques années au cœur de controverses liées à l’existence d’une islamophobie et d’un « racisme institutionnel » et accusé de vouloir interdire toute critique de la religion musulmane au profit d’une idéologie « islamiste ».
Le 16 octobre 2020, Samuel Paty, professeur d’histoire géographie au collège du Bois-d’Aulne à Conflans Saint-Honorine, est assassiné par arme blanche devant son lieu de travail. Cet attentat fait suite à plusieurs messages postés sur les réseaux sociaux de la part de parents d’élèves accusant l’enseignant d’avoir montré aux élèves les caricatures de Mahomet issues du journal Charlie Hebdo. Les messages de parents d’élèves deviennent rapidement viraux et sont relayés par des comptes influents sur les réseaux sociaux. Le principal artisan de cette campagne incite les autres parents à saisir le CCIF, ce que feront certains d’entre-eux. Le 19 octobre, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, annonce sa volonté de dissoudre le CCIF afin de lutter contre l’« islamisme rampant » et considérant que l’association, « ennemie de la République », est « manifestement impliqué[e] » dans l’attentat puisque le parent d’élève qui a lancé la première vidéo de dénonciation de Samuel Paty cite directement l’association [4]. De son côté, le CCIF confirme avoir été saisi par le père de famille mais explique qu’au moment de l’attentat, « aucune action n’avait été entamée » par l’association qui en était « à l’étape des vérifications d’informations » [5].
Le gouvernement français officialise la dissolution du CCIF en tant que groupement de fait le 2 décembre 2020 en conseil des ministres. Le décret présenté ce jour-là, fait suite à une première notification du décret de dissolution transmise pour défense à l’association le 19 novembre 2020. Suite à l’enclenchement de cette procédure, l’association décide de s’auto-dissoudre le 29 octobre 2020 et de transférer ses actifs à « des associations partenaires qui se chargeront de prendre le relais de la lutte contre l’islamophobie à l’échelle européenne » [6] .
L’ensemble de ces évènements prennent enfin place dans un contexte de discussion du projet de loi « confortant les principes de la République », dite « loi séparatisme », dont le volet portant sur les associations prévoit notamment la mise en place d’un « contrat d’engagement républicain » nécessaire à l’attribution de toute subvention publique et la mise en place de nouvelles mesures permettant de dissoudre plus facilement les associations.

II- Les justifications de la dissolution du CCIF

On peut distinguer trois séquences de justifications de la procédure de dissolution de la part de l’exécutif : tout d’abord, les premières déclarations publiques du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, quelques jours après le drame ; ensuite la notification du décret de dissolution transmise à l’association pour défense le 19 novembre 2020 ; enfin, le décret de dissolution, lui-même, publié le 2 décembre 2020. A ces trois séquences, il faut ajouter l’arrêt du Conseil d’État pris suite au recours engagé par le CCIF et rendu le 24 septembre 2021.

A- Implication dans l’assassinat de Samuel Paty

L’argument de l’implication du CCIF dans l’assassinat de Samuel Paty intervient au long de cette procédure à deux moments : au tout début et à la toute fin. Le 19 octobre 2020, Gérald Darmanin déclare : « Il n’y aura pas une minute de répit pour les ennemis de la République. (…) 51 structures associatives verront des visites des services de l’État » et « plusieurs d’entre elles seront dissoutes au conseil des ministres ». Le ministre s’en prend ensuite plus particulièrement au CCIF : une association qui « a été manifestement impliquée [dans l’assassinat de Samuel Paty] puisque le père, qui a lancé une fatwa contre ce professeur, y fait très clairement référence. Cette association touche des aides de l’État, des déductions fiscales et elle dénonce l’islamophobie d’État (...) Nous avons des éléments qui nous permettent de penser que c’est une ennemi de la République » [7].
Après ces premières déclarations, l’argument disparait de la communication du gouvernement et n’apparait ni dans la notification, ni dans la rédaction finale du décret de dissolution. Il ne reste présent qu’en filigrane dans le fait que la dissolution soit demandée au titre du point 7 de l’article L212-1 du code de la sécurité intérieure relatif aux « agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l’étranger. » Or, dans le paragraphe 12 de sa décision du 24 septembre 2021, le Conseil d’Etat contredit le ministre et affirme que le CCIF n’a aucun lien avec des actes terroristes : « La circonstance que le CCIF entretient des liens avec la mouvance islamiste radicale n’établit pas par elle-même qu’il encouragerait ou légitimerait des actes de terrorisme ». Le point 7 de l’article L212-1 ne pouvait donc être mobilisé pour dissoudre le CCIF et l’accusation d’implication « manifeste » du CCIF dans l’assassinat de Samuel Paty est fausse.

B- Proximités directes et indirectes avec l’islamisme radical

La seconde justification de dissolution du CCIF est relative à sa proximité directe et indirecte avec « l’islam radical ».
Le décret de dissolution accuse plusieurs dirigeants du CCIF, « anciens comme actuels », de faire directement partie des « tenants d’une approche radicale de la religion musulmane pouvant être qualifié d’islamiste » sans définir en amont le terme et ce qu’il est censé recouvrir dans le cas d’espèce [8] . Le décret indique qu’« entre 2012 et 2015, le collectif a organisé des galas destinés à trouver des financements pour l’association auxquels ont participé des individus connus pour leur appartenance à la mouvance radicale » [9]. Le décret énumère les « promotions publiques » faites par le CCIF de certains individus connus pour leurs prises de position radicales notamment Aissam Aït Yahia, un ancien trésorier de l’association « Ana Muslim » connu pour ses relations avec des organisations prônant le djihad armé et dissoute en 2014. Le gouvernement français accuse également le CCIF de défendre l’association dissoute « Barakacity » alors que son président aurait soutenu dans ses discours le terrorisme [10] . Par ailleurs, le décret dénonce également la participation de certains membres du collectif à des rassemblements militants « interdits aux blancs ou aux non-musulmans ».

C- Incitation à la violence et à la discrimination

Outre ces accusations, de nombreux arguments sont avancés afin de décrire le caractère haineux, violent et discriminant du CCIF. Il est reproché à l’association de qualifier d’islamophobe les « mesures prises dans le but de prévenir des actions terroristes et de prévenir ou combattre des actes punis par la loi ». Le décret fait ici référence à certains positionnements de l’association qui a condamné des fichages S et des fermetures de mosquées prises dans le cadre de mesures anti-terroristes après les attentats de 2015. Une position qui, selon le décret, « risque de susciter, en retour, des actes de haine, de violence ou de discrimination ou de créer le terreau d’actions violentes chez certains de ses sympathisants ». Le gouvernement français, accuse également le CCIF de « travestir la vérité » des actes antimusulmans dans ses rapports annuels sur l’état de l’islamophobie en France, en diffusant ses propres statistiques ou dénonciations. Par ailleurs, il accuse également le CCIF de promouvoir une interprétation « particulièrement large » de la notion d’islamophobie, comptabilisant des « mesures de police administrative, voire des décisions judiciaires, prises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme » comme des actes islamophobes [11]. A l’appui de son argumentation, le décret cite l’Observatoire contre l’islamophobie du Conseil français du culte musulman qui « considère que l’objectif de ce collectif “est de faire peur à la communauté musulmane et d’allumer le feu en permanence” ». La critique des politiques publiques par une association est ainsi sanctionnée, restreignant la liberté d’expression et d’association.
L’argumentaire relatif à l’incitation à la haine et à la violence s’appuie également sur certains commentaires postés sur les pages des réseaux sociaux du CCIF qui constituent des provocations à la haine, à la discrimination et à la violence. Le décret énumère également une série d’attentats perpétrés depuis 2015 à 2020 que le CCIF n’aurait pas condamné publiquement ou aurait relativisé.
En raison de ces différents éléments, le CCIF est considéré par le gouvernement comme une association « provoquant à la haine, à la discrimination et à la violence en raison de l’origine, de l’appartenance à une ethnie, à une race ou à une religion déterminée et comme propageant des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ».

III - Le CCIF répond au Ministère de l’Intérieur

Face à ces accusations, le CCIF a produit deux documents pour se défendre :
  Un droit de réponse à la notification de dissolution transmise par le gouvernement français le 19 novembre 2020 [12] .
  Un communiqué final auquel est rattaché ce premier document, ainsi qu’une liste d’accusations récurrentes faites au CCIF auxquelles les membres de l’association ont répondu [13].
Les réponses de l’association concernent la notification du décret du 19 novembre 2020. Étant dissout et ayant transféré ses actifs et une large partie de ses activités à l’étranger, le CCIF n’a pas eu la possibilité de répondre aux accusations du décret du 2 décembre. C’est ce qui explique la disparition d’arguments initiaux ne figurant pas dans le décret de dissolution du 2 décembre.

A- Sur l’implication dans l’assassinat de Samuel Paty

Comme l’explique le journal Libération, le CCIF « affirme que, s’il a bien été saisi par le père de famille accusé d’avoir orchestré la campagne contre Samuel Paty sur Internet, il n’a entamé "aucune action", faute d’avoir eu le temps de vérifier si cette affaire relevait de son champ de compétence ». Il n’est donc aucunement « impliqué » dans l’engrenage qui a mené à l’assassinat de l’enseignant. Une position qui sera confirmée par l’arrêt du Conseil d’État. Dans le paragraphe 12 de sa décision, il contredit le ministre et affirme que le CCIF n’a aucun lien avec des actes terroristes : « La circonstance que le CCIF entretient des liens avec la mouvance islamiste radicale n’établit pas par elle-même qu’il encouragerait ou légitimerait des actes de terrorisme ». Le point 7 de l’article L212-1 ne pouvait donc être mobilisé pour dissoudre le CCIF.

B- Sur les accusations de proximité avec l’islam radical

En réponse aux différentes accusations de proximité avec l’Islam radical, le CCIF avance à diverses reprises être « apolitique et areligieux » [14] et dément tout lien avec la mouvance islamiste et notamment avec les Frères Musulmans. Le CCIF cite M. Bernard Godard, ancien conseiller du Ministère de l’Intérieur sur les questions relatives aux musulmans de 1997 à 2014, et considéré comme un des meilleurs spécialistes français des relations entre l’islam et l’État : « J’en ai un peu marre de cette rumeur de collusion entre le CCIF et les Frères musulmans, [...]. C’est tout simplement faux. [...] Ce Conseil est le seul organisme digne de ce nom en France auquel les musulmans peuvent avoir recours s’ils sont victimes d’un acte islamophobe. Il est essentiel. » [15]
Pour répondre à la notification du décret de dissolution mentionnant notamment que l’association organisait des dîners de gala qui avaient pour invités des « individus identifiés comme prédicateurs salafistes issus de la mouvance des Frères Musulmans. » le CCIF remarquait alors que « dans son empressement à empiler les mots-valises et les qualifications mensongères, M. Darmanin a omis un fait : les “Frères Musulmans” et les “salafistes” sont deux mouvements diamétralement opposés. » Comme l’explique un article du Monde en date du 31 décembre 2020, la notification du décret de dissolution du CCIF mentionne également plusieurs autres « erreurs factuelles » : « Il y est ainsi allégué qu’Abdelhakim Sefrioui, auteur de vidéos mettant en cause Samuel Paty, diffusées dans les jours qui ont précédé son assassinat, avait été trésorier du collectif. Le CCIF l’a démenti, suggérant une confusion avec le Conseil des imams de France (CIF), une association en sommeil dont M. Sefrioui a en effet été le trésorier. » [16] L’ensemble de ces contre-vérités seront finalement expurgées du décret final.
Par ailleurs, le CCIF précise qu’il a « toujours réclamé que soit respecté le droit, et n’a jamais enfreint la loi ». Il rappelle qu’il « n’a pas vocation à prendre position sur les pratiques religieuses des uns ou des autres, tant que celles-ci s’inscrivent dans un cadre légal en vigueur ». Son but étant d’assister toute personne victime de discrimination ou de violence, le CCIF « n’a pas besoin d’adhérer aux convictions de son client pour défendre ses droits. » [17] Conséquemment, le CCIF, en dénonçant les perquisitions abusives des membres d’Ana Muslim, une association par ailleurs frontalement hostile au collectif, ou des membres de Barakacity, ne fait qu’appliquer sa pratique juridique qui recommande le respect des droits fondamentaux de chacun. Cependant, l’association précise tout de même que « l’évolution du mouvement Ana Muslim, ainsi que les déclarations de leur part [...] appellent la plus stricte des condamnations » [18]. Sur ces liens supposés avec l’association Ana Muslim, le CCIF ajoute : « nous les connaissions d’autant plus qu’Ana Muslim produisait avec constance une critique véhémente et hostile de notre travail. En cause : le recours par le CCIF au droit et la nature areligieuse de l’association. […] Nos désaccords étaient plus que clairs : ils étaient frontaux. » [19] Enfin, Aissam Aït Yahia, trésorier de l’association Ana Muslim a bien signé plusieurs textes en son nom sur le site du CCIF, mais il a également donné des interview au Point et dans d’autres journaux [20] . On ne peut dès lors considérer que la publication d’un texte sur un support de communication revient, pour ce dernier, à cautionner les propos qui y sont tenus.

C- Sur les accusations d’incitation à la haine, la discrimination et la violence

En réponse aux accusation d’incitation à la haine, à la violence et à la discrimination, par le biais d’une modération négligée de ses comptes ouverts, le CCIF se défend en affirmant 1° qu’il n’a pas de possibilité de modérer ces pages ; 2° qu’il ne cautionne pas tout ce qui y est dit. L’association renvoie par ailleurs l’accusation en expliquant avoir trouvé des commentaires qui « pourraient constituer une provocation à la haine, à la discrimination et à la violence envers des personnes de confession musulmane » [21] sur la page Facebook du Ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, dénonçant ainsi l’argumentation fallacieuse du décret portant dissolution du collectif.
Suite à l’accusation du gouvernement concernant les formations en non-mixité raciale, le CCIF, dans sa réponse à la notification de dissolution, affirme que « L’expression “interdits aux blancs” a été construite et relayée par les médias d’extrême droite, la fachosphère et certains “universitaires” mal à l’aise avec la remise en question de leurs thèses. Ces formations n’ont jamais été interdites aux “non-musulmans”. Des chrétiens, des juifs, des athées et des personnes appartenant à d’autres confessions y ont participé. Par ailleurs, la co-organisatrice de ces camps décoloniaux n’est pas de confession musulmane… ».
Concernant l’absence de condamnation des actes terroristes, l’association précise : « le CCIF condamne, sans la moindre équivoque ni la moindre ambigüité, tout acte de violence, quel qu’il soit où qu’il soit, que ses auteurs se revendiquent ou non d’une idéologie ou d’une compréhension totalement dévoyée de l’Islam, notamment toutes les attaques terroristes ayant frappé notre pays durant la dernière décennie. » [22] Le CCIF ajoute qu’il est totalement « surréaliste de devoir le rappeler ».
Sur l’utilisation de la qualification d’islamophobie d’État, ou encore sur la critique de certaines lois, notamment celle de 2004 et 2010 jugées islamophobes, le collectif explique : « si leur rédaction "générale" ne vise pas directement les femmes musulmanes, leur application les cible précisément, c’est ce que le droit nomme et sanctionne la discrimination indirecte.” [23] Par ailleurs, d’autres institutions de promotion des droits de l’homme comme la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) ou le Comité des droits de l’homme de l’ONU n’était pas favorable à la loi du 11 octobre 2010. Par ailleurs, le Conseil de l’Europe a également porté des critiques et des alertes à l’adoption de la loi interdisant le port du voile intégral en France et en Belgique [24].
L’association explique également qu’en accusant le CCIF de gonfler les chiffres de ses études et de « travestir la vérité » par la diffusion de « ses propres statistiques », le gouvernement français critique la qualité et la légitimité d’un travail reconnu par l’OSCE, le conseil ECOSOC de l’ONU, ainsi que la Commission Européenne qui choisissent le CCIF en tant que partenaire pour sa rigueur méthodologique. De plus, le CCIF précise qu’il « améliore constamment sa méthodologie, devenue une référence parmi les associations antiracistes européennes et qu’il accueille régulièrement analystes et universitaires, dans le cadre de leurs recherches, en leur donnant accès à ses données. » [25]

IV - Décryptage juridique et historique de l’arrêt du Conseil d’État

Le 24 septembre 2021, le Conseil d’État a définitivement validé la dissolution du CCIF. Cette décision est donc la seule dans nos vingt cas d’étude à recouvrir un caractère juridique. Pourtant, le décryptage des différents arguments mobilisés par le Conseil d’État donne à voir une réalité plus complexe dans laquelle les motivations juridiques semblent ne pas être premières.
Le décret de dissolution du CCIF se base sur les points 6 et 7 de l’article L212-1 du code de la sécurité intérieure. Le point 6 est relatif aux appels à la haine ou à la violence. Il stipule la possibilité de dissoudre des associations qui « provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine (…) ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence »
Sur cette base, le Conseil d’État a repris les arguments du décret en considérant que « le CCIF tient depuis plusieurs années des propos sans nuance visant à accréditer l’idée que les autorités publiques françaises mèneraient, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, un combat contre la religion musulmane et ses pratiquants et que, plus généralement, la France serait un pays hostile aux musulmans ». Cet argument apparaît problématique : il vient condamner un ensemble d’idées et de théories, déjà présentes dans le débat public, notamment autour des notions d’islamophobie, de racisme d’État, de racisme systémique ou structurel. Cette décision ouvre donc la voie à la condamnation d’un délit d’opinion.
Toujours sur la base du point 6 de l’article L212-1 du code de la sécurité intérieur, le Conseil d’État juge que « le CCIF entretient des liens étroits avec des tenants d’un islamisme radical invitant à se soustraire à certaines lois de la République » sans pour autant nommer précisément ces lois. Marwan Muhammad, ancien porte-parole de l’association, aurait « tenu publiquement des propos tendant à relativiser, voire à légitimer, les attentats contre le musée juif de Bruxelles en 2014 et contre le journal Charlie Hebdo en 2015, et promu l’idée d’une suprématie de la communauté musulmane. » Si le Conseil d’État ne nomme pas avec précision les déclarations en question, il est fortement probable qu’elles proviennent d’une tribune de Marwan Muhammad dans laquelle on pouvait trouver cette citation : « Un acte de violence marginal sert de prétexte à la mise en cause d’une communauté entière. » Une accusation à laquelle le CCIF avait répondu par le démenti suivant : « Le texte en question (une tribune libre de Marwan Muhammad) revenait sur les modalités de la lutte anti-terroriste et mettait en garde contre les possibles dérives, qui alimentent les logiques de confrontation dont bénéficient les recruteurs djihadistes. Il relevait, selon les chiffres et les rapports d’Europol, que les actes terroristes de revendication islamique étaient STATISTIQUEMENT marginaux à l’époque (1,3% des actes, en 2013). Depuis, ce type de terrorisme et cette revendication sont devenus centraux, à la fois dans le nombre d’actes et de victimes. Il est donc inexact d’interpréter en 2020 un texte de 2014, en faisant dire au texte l’opposé de son propos, à savoir que la brutalité des actes terroristes ne doit pas collectivement nous faire perdre notre discernement, au point de donner aux djihadistes ce qu’ils cherchent : le basculement de l’État de droit d’une part et l’oppression systémique des musulmans de l’autre, pour justifier leur rhétorique. » [26] Le Conseil d’État reprend également les accusations d’accointance avec l’association Ana Muslim dont on a vu plus haut le caractère, a minima, parcellaire.
Enfin, le Conseil d’État indique que « le CCIF suscite régulièrement, par les messages qu’il délivre sur ses comptes ouverts sur les réseaux sociaux, des commentaires antisémites et hostiles aux autres croyances auxquels il n’apporte aucune modération ». Il est donc reproché au CCIF un manque de modération des propos tenus par des personnes non membre de l’association mais réagissant sur les réseaux sociaux à des messages de l’association. Il s’agit là d’une accusation méconnaissant tant les règles techniques de modération (le réseau Twitter, par exemple, n’offre aucune possibilité de supprimer des commentaires) que le droit : en effet, comment une association peut-elle être tenue responsable de propos tenus par des personnes qui n’en sont pas membres ? Conscient de cette lacune, le ministère de l’Intérieur a introduit quelques mois après son décret une nouvelle disposition renforçant la responsabilité des présidents d’associations vis à vis de propos délictueux tenus par des membres dans la loi séparatisme votée six mois après la dissolution du CCIF.

Institution responsable

Ministère de l’Intérieur
Présidence de la République

Conséquences pour l’association

Dissolution de l’association

Date