Fiche n°40

La municipalité de Roubaix prend la main sur un Conseil citoyen

Présentation

Lors de la mise en place des Conseils citoyens à Roubaix, la municipalité contrevient aux critères d’indépendance pourtant prévus dans la loi Lamy de 2014. En jeu notamment, l’institution de tutelle de la structure et le choix du salarié porteur.

Description

2014 :
Créés en 2014 à l’occasion de la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, dite loi Lamy, les conseils citoyens constituent la dernière incarnation d’une démocratie participative procéduralisée réservée aux « quartiers prioritaires ». Composés pour moitié de citoyens tirés au sort et pour moitié de forces vives, notamment associatives, ils cherchent à dépasser l’opposition entre participation des habitants et corps intermédiaires. Tirant les leçons de l’échec des conseils de quartier, les conseils citoyens se voulaient relativement autonomes des pouvoirs municipaux. Placés sous l’autorité du Préfet, et non du maire, l’autonomie semblait inscrite dans le droit. Comme le précise l’article 7 de la loi du 21 avril 2014 : « Les conseils citoyens exercent leur action en toute indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics ».

19 avril 2016 :
Lors d’une des premières réunions du conseil citoyen Est plusieurs participants s’interrogent quant à l’autonomie réelle qui leur est dévolue. La réunion est animée par un consultant, recruté par la municipalité pour assurer le lancement des conseils citoyens. Assez rapidement, un participant, connu localement comme un bloggeur assez critique de la municipalité et bien au fait des jeu politique locaux, entre dans l’arène. La controverse concerne le statut juridique de l’association porteuse des conseils citoyens : chacun des conseils doit-il se doter d’une association d’animation – afin d’assurer son autonomie – ou faut-il, ainsi que le préconise la municipalité, une seule association porteuse, chargée de coordonner l’ensemble des conseils citoyens roubaisiens ? La controverse prend d’autant plus d’ampleur à cette occasion que l’élu référente de quartier s’est invitée à la réunion, quand bien même elle ne prendra pas la parole à cette occasion. De fait, les interventions du bloggeur lui son indirectement adressées :

  • K. : Vous dites qu’on est indépendants, mais vous dites ça sera comme ça, ça sera comme ça [concernant l’association porteuse] … elle est où l’indépendance ? »
  • Le consultant : « La proposition de la ville, c’est qu’il y ait une seule association, après …
  • K. : C’est quand même un non-sens
  • La chèfe de projet enchaine pour la ville : « La ville de Roubaix a décidé, arbitrairement oui, qu’il y ait une seule association … »
  • K. insiste : « Ca s’appelle de la tutelle. Tant qu’on aura pas de réunions sans élus, sans techniciens … Y a des associations subventionnées, dans quelle mesure sont-elles libres de dire des choses ? Si c’est pour être le cordon ombilical de la mairie, ça sert à rien, je rentre chez moi ! »
  • L’élue de quartier ne répond pas. Il va trouver assez peu de soutien chez les autres habitants. D’ailleurs il se retrouvera assez isolé dans les petits groupes…
  • Une participante, nouvelle venue dans les instances de démocratie participative : « Une des choses pour lesquelles je ne me suis jamais engagée, c’est parce que je déteste la politique, les divisions … J’ai pas envie d’exclure les élus, j’ai envie qu’ils nous entendent. J’ai pas envie de mettre des barrières.
  • Le consultant insiste : « les conseils citoyens ça peut pas se faire spontanément, il faut un appui de la puissance publique. »
  • D. : « La crainte c’est de revenir sur les conseils de quartier, qui ont démontré leur inefficacité . »

4 décembre 2016 :
Ses craintes se révélerons pour partie fondées. Si les cinq conseils roubaisiens sont finalement parvenus à se doter d’une association porteuse pour assurer son autonomie de fonctionnement (elle peut recevoir subventions et salariés), la presse locale note dès le départ :

« Les conseils citoyens doivent fonctionner indépendamment de la municipalité mais, dans les faits, c’est elle qui a présidé à leur mise en place. »

2 mars 2018 :
Le conflit avec la ville va notamment se nouer autour du recrutement du salarié de l’association porteuse. Alors que les membres de l’association pensaient pouvoir choisir leur candidat en toute liberté, la municipalité va de fait tenter de contrôler le processus.
Tout d’abord en changeant de support financier : ce sera finalement un contrat adulte-relais, emploi précaire et sous-payé, afin d’éviter que le salarié ne soit trop qualifié et puisse dès lors se montrer gênant. Mais surtout, alors que le financement devait initialement être issu de la Préfecture, il sera finalement assuré par la ville. Pourquoi un tel revirement ? C’est que l’association songeait à recruter une ancienne coordinatrice de la Table de quartier du Pile (voir fiches 5 et 33), qui avait déjà mis la ville sous pression. La réponse donnée par les élus à l’occasion d’une réunion interne avec les dirigeants de l’association porteuse est sans ambiguïté :

« "Alors là, ça ne va pas être possible ! Après tout ce qui s’est passé avec l’Université Populaire et Citoyenne (UPC) et à la Table de quartier du Pile !" S’ensuit un débat sur l’influence des Verts à l’UPC, du soutien financier du Conseil Régional tant que des élus verts y siégeaient... Une fonctionnaire reconnaît [que la salariée pressentie] est "victime" du contexte dans lequel a eu lieu son passage à l’UPC, et l’animation de la Table de quartier du Pile, même si ses compétences individuelles et professionnelles ne sont aucunement remises en cause . »

22 février 2019 :
Les membres de l’association pointent un risque de discrimination et menacent de porter plainte… Au final, la candidate ne sera pas retenue. L’embauche d’un autre animateur fait néanmoins long feu. Au bout de quelques mois, il démissionne, déplorant la mascarade :

« Je me rends compte que les orientations locales contreviennent à la loi Lamy qui impose une totale neutralité dans l’organisation de ce dispositif. J’aurais aimé vous dire que c’était le cas et œuvrer dans ce sens, mais ce n’est pas le cas. (…) Sur un sujet aussi important [que la rénovation urbaine] , les conseils citoyens devraient être consultés. La ville préfère s’adresser directement aux citoyens, sans filtre. C’est son choix, mais ce n’est pas ce que la loi Lamy prévoit. »

Type d'action collective sanctionnée

Parole et action autonome vis-à-vis de la municipalité

Institution responsable

Municipalité de Roubaix

Sources

Entretien avec un des membres du conseil citoyen de Roubaix Est : 19/05/2020

Observations régulières des réunions des conseils citoyens de Roubaix

Articles de presse  :

Document  :

  • Compte-rendu de la réunion entre élus de la ville de Roubaix et dirigeants de l’association porteuse du Conseil citoyen, 2 mars 2018.

Date