Fiche n°126

Le préfet de la Drôme menace un militant associatif valençois de procès en diffamation pour avoir dénoncé un « climat raciste et islamophobe »

Présentation

Dans le contexte de l’attentat de la mosquée de Bayonne en octobre 2019, un militant associatif valençois, Hakim Madi, interpelle de manière véhémente une députée LREM, sur sa page Facebook, à propos de son absence de « dénonciation de la politique de chasse aux musulmans du gouvernement ». En réponse, le préfet de la Drôme dépose plainte pour diffamation publique à l’encontre de personne dépositaire de l’autorité publique.

Description

I - Contexte et description des faits

Le 14 octobre 2019, Hakim Madi, militant associatif au sein du mouvement Action citoyenne à Valence dans la Drome et ancien candidat aux élections législatives de 2017, interpelle la députée LREM, Mireille Clapot, sur sa page Facebook : « Agenda de Mireille Clapot (députée LREM) cette semaine. Sur son mur je ne vois aucune dénonciation de la politique de chasse aux musulmans du gouvernement. […] J’ai fait cela pour que vous ne puissiez pas dire que vous ne saviez pas… que votre France suit les pas de celle de Vichy. […] Choisissez le bon camp de l’histoire de France, car voyez-vous, notre pays est en train de filer tout droit vers l’abime, vers l’innommable, vers l’apartheid ! » La députée lui répond : « Gardons-nous de tout excès langagiers. La République est laïque, elle respecte tous les cultes. » Cet échange prend place dans un contexte national marqué par une polémique autour des « signaux faibles de radicalisation » [1].
Le 18 octobre 2019, Hugues Moutouh, préfet de la Drôme, annonce par voie de presse déposer plainte contre Hakim Madi pour diffamation publique à l’encontre de personne dépositaire de l’autorité publique. Hakim Madi est passible de cinq ans d’emprisonnement.
Trois jours plus tard, le 21 octobre, il adresse un courrier au procureur de la République de Valence "lui indiquant souhaiter, au nom de l’État, porter plainte" contre Hakim Madi, pour "ses propos du 14 octobre 2019 tenus sur une publication publique, sur son profil Facebook accessible à tous". Le 6 novembre 2019, Hakim Madi est auditionné au commissariat de Valence dans le cadre de cette plainte. Le 9 novembre 2019, 200 personnes se rassemblent à Valence pour soutenir Hakim Madi. A ce moment, une pétition en ligne de soutien au militant associatif rassemble plus de 5500 signatures. Une plainte qui n’aboutira finalement pas, le procureur ayant trop tardé à l’instruire.

III - Justification de l’institution

Le préfet de la Drôme explique dans un communiqué de la préfecture que « ces propos inacceptables conduisent à dresser les Français les uns contre les autres, et à créer dans notre pays, un climat dangereux de haine et de violence. » « Je suis là pour garantir la bonne application des lois et la protection de libertés », explique-t-il [2].
Dans le communiqué, la préfecture précise les propos tenus par Hakim Madi sur les réseaux sociaux : « M.Madi y accuse notamment le gouvernement français : de mener une "politique de chasse aux musulmans" et "une bataille haineuse" à leur endroit ; d’entretenir un "climat raciste et islamophobe" ; de suivre ce faisant "les pas de [la France] de Vichy". Il fait par ailleurs grief au Président de la République d’avoir octroyé "un permis de chasse aux musulmans". Il y affirme enfin que "notre pays est en train de filer vers l’abîme, l’innommable, vers l’apartheid". »
Pour le préfet, « ces faits paraissent à l’évidence relever du délit de diffamation publique à l’encontre de personnes dépositaires de l’autorité publique tel que prévu par les alinéas premiers des articles 29 et 31 de la loi du 29 juillet 1881 ». Toujours dans le communiqué, Hugues Moutouh « tient à dénoncer avec la plus grande fermeté les propos diffamatoires scandaleux tenus par M. Madi ». Il « souligne leur particulière gravité dans la mesure où de tels propos inacceptables conduisent à dresser les Français les uns contre les autres, et à créer, dans notre pays, un climat dangereux de haine et de violence, susceptible d’influencer les esprits les plus faibles et les plus vulnérables, sous couvert de prendre la défense des Français de confession musulmane » [3].

IV - Justifications de l’association

Hakim Madi reconnaît avoir employé des termes forts mais dénonce « l’injustice » qu’il subit. « C’est un préfet qui porte plainte alors que le problème vient de l’État. Je n’ai jamais appelé à la haine. » [4]
« Quand les gens ont appris ce qui se passait, alors que je n’avais fait que donner mon avis, beaucoup m’ont apporté leur soutien. C’est à la suite de cet élan citoyen et populaire que nous avons décidé de lancer la pétition. » Quelques heures après sa mise en ligne, elle avait recueilli plusieurs centaines de signatures.
Me Jean-Yves Dupriez, avocat d’Hakim Madi, rappelle « le contexte particulier » qui a amené à lancer la pétition. « C’est l’État qui engage une action contre un citoyen qui s’est exprimé sur ses inquiétudes. Et le préfet a décidé de rendre publique cette affaire, en envoyant un communiqué de presse sur le dépôt de plainte, avant d’en informer le principal intéressé. On s’interroge sur le sens de cette action. » Et Hakim Madi de conclure à l’attention du préfet : « Vous essayez de me faire taire, parce que je suis petit. Mais je ne suis pas seul et nombreux sont ceux qui partagent mes craintes. » [5]

Institution responsable

Préfet de la Drôme

Conséquences pour l’association

Menace de procès en diffamation

Date