Indéniablement, les libertés associatives reculent et l’espace démocratique se réduit, la solidarité envers des migrants sans papiers reste un délit, manifester peut vous conduire en prison, vous coûter un œil ou une main, et distribuer de la nourriture, vous valoir une amende substantielle. Nos vécus et nos analyses en témoignent : les associations et les collectifs militants sont entravés dans leur liberté d’action mais aussi leur droit de participer au débat public, quand elles sont jugées trop « critiques » de l’État ou des collectivités, des mairies. Certain.e.s militant.e.s sont ostracisé.e.s et criminalisé.e.s car soi-disant « radicalisé.e.s », un adjectif directement inspiré du discours antiterroriste, désormais utilisé contre celles et ceux luttant contre le racisme et l’islamophobie ou pour l’écologie ou le droit du travail.
Durant l’état d’urgence sanitaire nos craintes d’atteintes durables aux libertés associatives se sont renforcées. Alors que les libertés de réunion et de manifestation étaient purement et simplement supprimées pendant le confinement, la liberté d’agir pour l’intérêt général a été bafouée à plusieurs reprises (voir plus loin). Il s’agit là de libertés démocratiques fondamentales dans une période où les associations et les collectifs bénévoles se sont montrés des acteurs essentiels pour faire face à la crise sanitaire et prendre soin des plus vulnérables grâce à leur conviction et leur capacité de réaction au plus proche du terrain.
Documenter les atteintes et promouvoir les libertés associatives
Ces atteintes aux libertés associatives et les stratégies de riposte pour y faire face font l’objet, depuis plus d’un an, d’un programme de réflexion et d’action des associations membres de la Coalition pour les Libertés Associatives (L.A Coalition). Chacun de ses membres a fait l’expérience de diverses formes de répression et d’entraves à sa liberté d’agir en lien direct avec ses activités associatives, dans des domaines aussi larges que la lutte contre le racisme et les discriminations, l’organisation d’habitants, l’écologie, les arts de rue, la solidarité avec les migrants…
L’Observatoire des libertés associatives, créé fin 2018 par des chercheurs académiques et des associations, dont plusieurs membres de L.A Coalition, avait déjà répertorié et documenté cent cas d’attaques contre des associations avant la crise sanitaire. La période de confinement a révélé de nouveaux cas en cours de documentation, notamment contre l’antenne locale de la Ligue des Droits de l’Homme à Cholet accusée de « défendre des convictions totalitaristes » par le maire de la ville, une attaque politique diffamatoire typique.
Des associations devant ferrailler pour maintenir leurs activités sous l’état d’urgence sanitaire
La crise sanitaire liée au coronavirus aura révélé au plus grand nombre les visages des « laissés pour compte » de notre société : les familles et personnes pauvres vivant dans les cités, les SDF habitant les interstices des grandes villes, ces exilés et personnes vivant en bidonvilles et camps de fortune, ces Voyageurs français en caravanes, les prisonniers, les personnes en hôpital psychiatrique.... Les plus fragiles socialement ont été oubliés par l’État au début du confinement : rien pour éviter la maladie, rien pour se soigner, rien pour manger, rien pour se loger décemment. Ce qui a été obtenu pour ces publics a presque partout été arraché par des alertes et des actions revendicatives portées par les associations de terrain et leurs alliés, les défenseurs des droits. Ce n’est que sous la pression associative que la trêve hivernale a été repoussée et que des moyens ont été mobilisés pour loger des SDF, débloquer un budget d’aide alimentaire et des chèques service, accorder une modeste prime aux jeunes sans emploi, faire libérer des détenus par milliers, etc.
Néanmoins, durant l’état d’urgence sanitaire, de nouvelles formes d’atteintes à la capacité d’agir des associations ont été relevées. Dès le début du confinement, des associations de solidarité avec les migrants dans la région de Calais, comme Utopia 56, ont vu leurs bénévoles recevoir des amendes lors de distribution de nourriture. D’autres associations agissant dans le même secteur bénéficiaient en revanche d’ « attestations dérogatoires de sortie » accordées par les préfets au motif de leur « action d’intérêt général ». Plusieurs associations, un même public vulnérable, un même mode d’action, mais pourtant une distinction administrative nette, empêchant une structure d’agir et sanctionnant financièrement ses bénévoles…Fort heureusement, habituée des alertes, Utopia 56 a réussi à faire cesser les amendes en médiatisant l’affaire, en nommant les responsables (gendarmerie et préfecture) et en faisant pression sur leur hiérarchie (Place Beauvau).
Donc, loin d’être considérées et écoutées pour leur action, de nombreuses associations ont dû faire face à divers freins administratifs et financiers.
Elles n’ont pu maintenir leurs activités qu’au prix d’une prise de risque pour les bénévoles encore sur le terrain face à des publics exposés au covid, et d’efforts financiers et logistiques substantiels pour assurer leurs missions. En réponse aux associations de défense des droits, le gouvernement s’est reclus dans un silence méprisant, qu’il s’agisse des atteintes aux libertés les plus fondamentales prévues par la Constitution (prolongation des détentions provisoires) ou des violences et discriminations policières, avant que quelques victoires substantielles soient arrachées devant les tribunaux.
Le secteur associatif menacé par une mise sous tutelle administrative et une marchandisation
Cette dernière décennie, les associations, quel que soit leur domaine d’activité, ont été privées de moyens financiers et humains conséquents (fin des contrats aidés, baisse drastique des subventions, manque à gagner après la suppression de l’ISF).
Ce bouleversement du monde associatif, entravé dans ses capacités à agir et privé de moyens financiers pour mener ses missions, s’est fait en laissant entrer le loup du marché dans la bergerie de la solidarité.
L’État et les collectivités ont poussé des associations, renommées « opérateurs », à rationaliser leurs actions dans une logique managériale et les ont instrumentalisées en systématisant des « appels à projet » par lesquels ils exercent tout leur pouvoir d’initiative et de contrôle.
Pire, le nouveau marché public de l’accompagnement juridique des personnes enfermées en centre de rétention administrative (CRA) instaure une obligation de confidentialité pour les associations y intervenant, retirant l’ancienne disposition autorisant une association à « exprimer des opinions, critiques et propositions d’ordre général dans ses publications et ses communications ». Dans de telles conditions, les associations les plus vocales pourraient renoncer à leur mission, laissant ainsi le marché public à de nouveaux opérateurs se formalisant moins de ces « obligations de discrétion ».
Des revendications et des questions pour promouvoir les libertés
A l’aune des répressions passées et nouvelles, de cette culture politique et administrative de l’instrumentalisation des associations qui se renforce, ainsi que du risque d’inscription de l’action gouvernementale dans un état d’urgence permanent entravant les libertés, une action collective du monde associatif devient vitale. Nous, associations, collectifs, lanceurs d’alerte et chercheurs devrions nous réunir quel que soit notre domaine d’activité, afin de défendre collectivement et de manière coordonnée notre droit à agir selon la mission et les objectifs que nos structures se sont donnés sans avoir à demander l’autorisation et sans craindre les sanctions.
Avant même l’apparition de la pandémie, inquiètes de la dégradation rapide des conditions d’exercice de leur objet associatif, les membres de L.A coalition avaient déjà dressé une liste de revendications portées conjointement pour défendre et promouvoir les libertés associatives.
Nous considérons également que chaque attaque est l’opportunité de porter un discours offensif afin de plaider pour la légitime participation de la société civile et des citoyen.ne.s à la vie publique.
Nous réclamons donc :
- 1) La reconnaissance du rôle de contre-pouvoir et du droit d’interpellation des associations et collectifs, indispensables à tout régime démocratique
- 2) Un meilleur soutien matériel et financier des associations, ainsi que le rejet du clientélisme
- 3) Des procédures administratives et politiques transparentes et argumentées, et la mise en place de voies de recours en cas de sanction
- 4) De nouveaux espaces démocratiques reconnaissant l’expertise associative et celle des habitant.e.s