Contrairement à ce qui est avancé par ses promoteurs, ce nouveau texte liberticide ne concerne pas seulement les associations cultuelles et celles qui perçoivent des fonds publics, mais constitue une menace très grave pour l’ensemble des associations françaises. Nous, associations, collectifs et chercheur.es et avocat.es, organisés en coalition pour défendre et promouvoir les libertés associatives, tenons à alerter nos pairs, l’opinion publique et les parlementaires.
Le Conseil d’État l’a admis en premier : « les mesures du projet de loi concernent pratiquement tous les droits et libertés publiques » ! Ces libertés garantissent que, au delà du contrôle légitime de la légalité d’une association, l’État et ses représentants respectent l’indépendance d’action des associations. Un large pan de cette loi a pour objectif d’encadrer, contrôler et sanctionner davantage l’action associative, notamment en instituant un « contrat d’engagement républicain » (Art. 10-1). Ce contrat liste au moins dix « principes républicains » qui contraindraient uniquement les associations, sans aucune forme d’engagement réciproque comme l’a justement soulevé le Mouvement associatif. Le Conseil d’État, en cœur avec le le Défenseur des droits, soulignent que ce contrat comporte des « notions sujettes à interprétations antagonistes » et des « incertitudes » qui ne manqueraient pas d’introduire de sérieux risques d’arbitraire. Par ailleurs, le Défenseur des droits s’inquiète de ce que ce projet participe d’un « renforcement global du contrôle de l’ordre social ».
Dans la droite ligne de la loi sécurité globale, qui élargit les prérogatives de police à de nouveaux acteurs, Gérald Darmanin et le gouvernement voudraient aussi faire des associations des supplétifs du ministère de l’Intérieur en insérant une clause de « sauvegarde de l’ordre public » dans le contrat républicain. Dans un contexte d’urgence et aussi de surdité des autorités aux revendications citoyennes, de plus en plus d’associations ou groupes militants ont recours à la désobéissance civile non violente qui n’a pas vocation à « sauvegarder l’ordre public ». Ces actions militantes n’en restent pas moins légitimes et parfois reconnues comme telles par les tribunaux au nom de la liberté d’expression comme en attestent les relaxes de décrocheurs de portraits d’Emmanuel Macron, tout en revendiquant aussi les libertés d’opinion et de manifestation chères aux associations.
Au-delà du de ces nouvelles dispositions, se pose aussi la question de leur application. Comment éviter que les entraves institutionnelles aux activités associatives, déjà nombreuses, souvent abusives et méconnaissant le droit, ne se multiplient à l’encontre d’acteurs qui interviennent – souvent de manière critique - dans le débat public ? En octobre 2020, l’Observatoire des libertés associatives tirait déjà la sonnette d’alarme avec le rapport « Une citoyenneté réprimée » qui documentait cent cas de répression anti-association.
Le non respect d’un contrat républicain aux contours imprécis, entraînerait des sanctions telles que la suspension ou le remboursement des subventions, véritable mise à mort financière pour des associations déjà précarisées (perte des contrats aidés, etc.).
Cela entraînerait aussi la perte d’un agrément indispensable pour agir en justice au nom des Français et de l’intérêt général, voire plus quotidiennement pour intervenir en milieu scolaire ou extra-scolaire. Plus localement cela pourrait signifier le refus ou la perte d’accès aux espaces et équipements publics.
Le projet de loi, dans son article 8, élargit aussi les conditions pour prononcer la dissolution d’une association en remplaçant l’organisation de « manifestations armées dans la rue » par des « agissements violents contre les personnes et les biens », le terme d’ « agissement » ouvrant là aussi un large champ d’interprétation. Il est également plusieurs fois fait état dans le texte (Art.18- 223) d’« atteintes à l’intégrité psychique », notamment concernant les personnes dépositaires de l’autorité, ce qui n’est pas sans rappeler l’article 24 de la proposition de loi sécurité globale sur l’interdiction de diffuser des images des forces de l’ordre. D’autre part, les commentaires sur les réseaux sociaux de personnes liées à l’association, et même de simples « followers », seraient reconnus (Art. L. 212-1-1) comme des éléments justifiant la dissolution d’une association, même si ces messages sont postés à titre personnel et alors qu’ils ne peuvent pas toujours être effacés. Cette disposition fait peser des risques de « déstabilisation » sur des associations ciblées par des campagnes malveillantes en ligne.
Comment ne pas voir dans ces lois sécuritaires l’expression d’une défiance généralisée à l’encontre des associations et groupements de citoyens organisés pour faire entendre leur voix et agir pour l’intérêt général ?
Nous refusons que des associations soient arbitrairement dissoutes ou privées de financement sur des critères flous et infondés avec des possibilités de recours amoindries. Nous refusons également la stigmatisation que ce projet de loi fait peser sur des personnes de confession musulmane, en raison de leur croyance ou origines supposées, en laissant croire que ce texte de loi répondrait à des enjeux de sécurité ou de « vivre-ensemble ». Nous refusons qu’un pouvoir politique impose une interprétation moralisante et autoritaire des « principes républicains » déjà parfaitement exprimés dans notre devise nationale.
Le législateur français a construit au fil du temps des lois plus équilibrées qui ne demandent qu’à être appliquées. Nous surveillerons avec attention le débat parlementaire de ces prochaines semaines, tant sur le projet de loi séparatisme que sur la loi sécurité globale qui mobilise déjà largement, pour alerter les citoyennes et citoyens français sur cette dérive autoritaire que nous constatons avec effroi et inquiétude. Loin de contribuer à la sécurité et à la cohésion nationale, cette « loi séparatisme », si elle était votée, serait contre-productive et affaiblirait les principes républicains. Cette loi déstabiliserait l’ensemble des associations pourtant si essentielles face aux épreuves que nous traversons et pour notre démocratie.
Cette tribune a été rédigée à l’initiative des membres de la Coalition pour les ibertés associatives et publiée dans Libération le 21 janvier 2020.
Signataires
* Membres de la Coalition et de l’Observatoire pour les libertés associatives
Associations
– APPUII*
– Action Droit des Musulmans*
– Alliance citoyenne*
– Ane sans frontières
– Anticor
– Attac France*
– Centre de Recherche et d’Information pour le Développement (CRID)*
– Collectif des Associations Citoyennes (CAC)*
– Combat Monsanto
– Communauté de l’Arche, Non-violence et Spiritualité
– Coordination nationale Pas sans Nous*
– Droit au logement
– Du Sens ? Des Arts !
– Et Meutes
– Emmaüs France
– Fédération des Arts de la Rue*
– Femmes Égalité
– Femmes de la Terre
– Foyer Fraternel
– France Nature Environnement (FNE)*
– FNE Paris
– Fructôses
– Greenpeace
– Grésivaudan Sud Écologie
– Groupe d’information et de soutien des immigré·es (Gisti)
– Habitat Groupé
– IPAM
– Immigration Développement Démocratie (IDD)
– Ipns
– J’A-DE
– La Quadrature du Net*
– Lyon à Double Sens
– Mouvement Roosevelt France
– ReAct !*
– Réseau École et Nature
– Réseau Sortir du nucléaire
– Ritimo*
– RNSE
– Sciences Citoyennes
– Syndicat de la magistrature
– Syndicat des avocats de France
– Têt’en l’Air
– Themaa
– Toustes en colo
– Vivre Ici
– VoxPublic*
Universitaires
– Julia Cagé – professeure adjointe au département d’Économie de Sciences Po Paris*
– Serge Slama - professeur de droit public, Université Grenoble-Alpes
– Marie-Hélène Bacque - professeure d’études urbaines, Université Paris-Nanterre*
– Romain Badouard – enseignant et chercheur en sciences de l’information et en communication, Université Paris II Panthéon-Assas, CARISM et Institut Français de Presse*
– Guillaume Gourgue - enseignant et chercheur en science politique, Université Lyon 2, Laboratoire TRIANGLE*
– Marion Carrel - professeure de sociologie, Université de Lille-CeRIES*
– Karel Yon – chercheur en sociologie, CNRS, Université Paris Nanterre et CERAPS (Université de Lille*
– Marwan Mohammed – chercheur en sociologie, CNRS
– Stéphanie Hennette-Vauchez, Professeure de droit à l’université Paris Nanterre et directrice du Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux
– Julien Talpin, chercheur en Sciences politiques, CNRS*
– Vanessa Codaccioni : Maîtresse de Conférence en science politique à l’université Paris 8*
– Jean-Louis Laville, Professeur du Conservatoire national des arts et métiers et chercheur au Lise (CNRS-Cnam)*
– Marie-Laure Basilien-Gainche - professeure de droit public, Université Jean Moulin Lyon 3 - membre honoraire de l’Institut Universitaire de France, membre de l’Institut des Migrations
– Sébastien Milleville, Maître de conférences en droit privé, Université Grenoble Alpes
– Charles-André Dubreuil, Professeur de droit public, Université Clermont-Auvergne
– Diane Roman, Professeure à l’Ecole de droit de la Sorbonne
Avocat.es
– Nabila Asmane
– Nabil Boudi
– Vincent Brengarth
– William Bourdon
– Emmanuel Daoud
– Jérôme Karsenti
– Raphaël Kempf
– Adélaïde Jacquin
– Stéphane Maugendre
– Jeanne Sulzer