I - Contexte et description des faits
Le 22 octobre 2020, quelques jours à peine après l’assassinat de Samuel Paty, la Secrétaire d’Etat chargée de la Jeunesse et de l’Engagement, Sarah El Haïry, était invitée à une rencontre à Poitiers organisée par la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France (FCSF) autour du thème de la religion. La rencontre qui rassemble des jeunes des quartiers populaires vire à l’incompréhension réciproque. Pour France 3, la ministre a été « chahuté » : « Encadrés par des animateurs, les jeunes se sont exprimés durant la semaine sur leur quotidien, souvent ponctué d’injustices et de discriminations liées à leur origine ou leur religion. Ils ont retiré de ces échanges plusieurs idées, qu’ils ont exprimées à Sarah El Haïry. Mais ces propositions ont surpris la représentante d’un gouvernement républicain. Autoriser le port de signes religieux au lycée ou même intégrer au cursus des cours de Religion. Pas vraiment du goût de la secrétaire d’état qui a martelé l’importance de la laïcité à l’école et a tenté de rassembler les jeunes en entonnant la Marseillaise. Mais l’hymne n’a été que très peu repris dans la salle et les jeunes ont rapidement pris le micro pour dire leur incompréhension face à cette initiative. » [1] Comme le rappelle Mediapart, « à la sortie de ce rendez-vous, Sarah El Haïry ne décolère pas et décide de s’attaquer aux organisateurs, à commencer par la Fédération des centres sociaux. Elle mandate l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche et ordonne une inspection. » [2]
Le 21 mars 2021, la Secrétaire d’Etat donne une interview au JDD à propos des résultat du rapport d’Inspection qu’elle a reçu quelques jours plus tôt. Intitulé « Pas un euro d’argent public ne doit aller aux ennemis de la République », l’entretien annonce les sanctions envers les deux associations organisatrices de l’événement : « Il y aura quatre réponses. J’ai demandé que l’on réexamine l’attribution de l’agrément de La Boîte sans projet. J’ai également fait parvenir à la Fédération des centres sociaux un courrier pour lui rappeler que la laïcité et la défense des valeurs de la République sont des piliers intangibles de notre vivre-ensemble, et que les actions de leur prestataires étaient de leur responsabilité. Et je lui ai demandé de nous faire savoir comment elle comptait mettre en œuvre les recommandations du rapport sur l’accentuation des formations sur la laïcité. J’ai aussi décidé de porter, dans le cadre du débat autour du projet de loi renforçant les principes républicains qui arrive fin mars au Sénat, une évolution des règles d’attribution de l’agrément jeunesse et éducation populaire, parce que aujourd’hui, quand il est délivré, il n’est jamais remis en question. J’ai fait le choix d’imposer une durée . Je souhaite que tous les huit ans il puisse y avoir une réévaluation à la manière de ce que la loi prévoit pour les fédérations sportives. Enfin, nous allons continuer d’outiller le monde de l’éducation populaire. Il faut l’accompagner, c’est notre devoir. Nous allons ajouter des modules sur les principes républicains, mais aussi sur la laïcité dans le cadre du Bafa. J’agirai ainsi de manière complémentaires à Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Education nationale. » [3]
II- Justification de l’institution
Manquements au principe de laïcité
« Le rapport d’inspection fait mention de matériaux pédagogiques qui présentaient « différentes religions, mais aucun n’illustraient l’absence de croyance, alors que le rassemblement [était] ouvert aux non-croyants » [4].
Pour la secrétaire d’Etat : « La Fédération des centres sociaux n’a pas été à la hauteur de ses engagements sur la laïcité alors qu’elle possède sa propre charte sur la question. Elle a choisi de confier la sous-traitance de l’animation à l’association La Boîte sans projet. Or, si celle-ci sait faire dialoguer les jeunes, elle n’a aucune expertise sur le fait religieux. Et elle revendique sur les réseaux sociaux un positionnement non neutre, voire partisan. Ce qui explique sans doute le glissement d’un débat prévu sur les religions à un débat portant sur les discriminations. » [5]
Anti-républicanisme
Dans la même interview consacrée à la Fédération des centres sociaux et la Boite sans projet, à la question « que comptez-vous faire contre les associations qui bénéficient de subventions publiques et qui manquent au pacte républicain ? » La Secrétaire d’Etat répond : « Pas un euro d’argent public ne doit aller aux ennemis de la République » [6].
Lier volontairement religion et discrimination
Le rapport d’inspection pointe du doigt la Boite sans projet en affirmant que l’association a volontairement « orienté » les échanges « vers les discriminations y compris en dehors du sujet des religions ».
IV- Justifications de l’association
Sur la conception du républicanisme
Sur la rencontre de Poitier : « A l’origine de cette enquête, une rencontre de 130 jeunes autour du thème "Les religions" organisée par la Fédération des Centres Sociaux et socio-Culturels de France en octobre dernier. Il s’agit ici d’un processus classique d’éducation populaire : porter une parole collective et politique à partir d’expériences personnelles vécues pour réfléchir et débattre. Il n’est pas question de nier le conflit ou de lisser la parole mais de travailler ensemble la pluralité des points de vue pour avancer. La République que nous défendons c’est la sociale, la laïque, c’est celle qui inscrit le débat contradictoire dans l’exercice de la démocratie. » [7]
Sur la liaison volontaire entre religion et discrimination
La Boite sans projet explique : « On nous reproche de lier religions et discriminations, c’est faux, nous n’avons ni plus ni moins qu’entendu et mis à la discussion les propos des jeunes présents et le témoignage de ce qu’ils et elles vivent. C’est leur faire affront et violence que de le nier alors qu’ils et elles nous ont fait assez confiance pour le partager. Ces jeunes ont travaillé pendant 3 jours, ont donné du temps et de l’énergie pour pouvoir participer à une action démocratique, apprendre, comprendre, agir en tant que citoyens et citoyennes. C’est une fin de non recevoir à coups de principes républicains désincarnés qu’ils et elles ont obtenues. La République ne peut pas être un bloc monolithique et immuable qui se réaffirme avec une Marseillaise pour clôturer un débat. Elle se doit d’être un cadre permettant à chaque citoyen, citoyenne de participer à la discussion publique et politique. C’est par le débat que la société civile s’outille elle-même, les citoyens, citoyennes et les associations sont en mesure de discuter de laïcité et de faits religieux sans recevoir le blanc-seing de l’administration. » [8]
Sur le déroulement de la rencontre
Suite à l’article de presse présentant les conclusions du rapport d’Inspection, la Fédération des centres sociaux fait part de ses désaccords sur la manière dont s’est déroulé la rencontre : « Outre une stratégie de communication médiatique déployée dès dimanche par la Secrétaire d’État, ce rapport final et ses recommandations apparaissent, malheureusement, à l’image des craintes que la FCSF avait pu formuler auprès de l’Inspection : Orientés, avec une approche de l’Inspection qui s’est placée sous le point de vue de la Secrétaire d’État, interrogeant systématiquement l’approche de la FCSF et jamais le positionnement de la Secrétaire d’État lors de cette rencontre ; Empreints de confusions et de mauvaises interprétations sur le thème, les processus pédagogiques et le déroulement du Réseau Jeunes ; Inquiétants, car il réinterroge clairement l’éducation populaire, ses acteurs, ses méthodes, et plus largement les libertés associatives. » [9]