Fiche n°109

Suite à une campagne d’accusations publiques, l’association Lallab ostracisée

Présentation

En août 2017, le relai par l’Agence du service civique de trois missions pour des jeunes âgés de 16 à 25 ans pour le compte de l’association Lallab entraîne une polémique nationale. Accusée sur les réseaux sociaux et dans la presse de « proximité avec les Frères musulmans », de « communautarisme », « d’homophobie » et de « justification des violences faites aux femmes », l’association voit finalement ses offres de volontariat supprimées ainsi que son compte sur la plateforme de l’agence publique.

Description

I - Contexte

Créé en 2015 par une entrepreneure sociale et une réalisatrice de documentaires, l’association Lallab cherche à « faire entendre les voix des femmes musulmanes pour lutter contre les oppressions racistes et sexistes ». La campagne de dénigrement sur les réseaux sociaux d’aout 2017 est la troisième vague de cyberharcèlement en quelques mois. L’association est en effet dans le viseur de militants d’extrême droite notamment depuis le passage d’Attika Trabelsi, sa co-fondatrice, dans l’Emission politique du 5 janvier 2017, sur France 2 où elle faisait face à Manuel Valls en justifiant, entre autres, le port du voile dans une perspective féministe.

II - Caractérisation des faits

Le 9 août 2017, l’association poste une annonce sur le site du service civique pour le recrutement de trois volontaires, repartagée sur twitter]. Elle diffuse cette annonce via le compte d’Unis-Cités dont Lallab est partenaire pour le recrutement de services civiques. L’association proposait alors d’aider à « produire un environnement, des ressources et des outils favorisant la liberté de chaque femme musulmane à définir son identité et son parcours de vie ». L’objectif annoncé sur facebook était « de contribuer à l’accompagnement des bénévoles, à l’organisation et à la proposition de différents formats d’événements  ».
L’annonce fait rapidement l’objet de vives critiques sur les réseaux sociaux, notamment dans les milieux d’extrême-droite et de la gauche laïque. Comme l’explique un article de Médiapart, l’association est tout d’abord accusée par un ensemble de comptes twitter « de militer pour l’abrogation de la loi de 2004 sur le port de signes dans les écoles publiques – réclamer l’abrogation ou la modification d’une loi n’a jamais été un délit –, d’être "communautariste", "racialiste", de "promouvoir l’islam radical", d’être contre l’avortement et contre le mariage des couples homosexuels. »
Le 11 août, l’information est reprise par le site d’extrême-droite Fdesouche. Ce même jour, c’est Gilles Clareul, préfet, ancien délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme, et la haine anti-LGBT (DILCRAH) et membre fondateur du Printemps Républicain (une organisation qui défend une vision extensive de la laïcité), qui, dans un retweet, associe Lallab à un «  féminisme qui justifie les violences conjugales ». Trois jours plus tard, le 14 août, Nassim Seddiki, secrétaire général du Printemps Républicain interpelle sur Twitter l’Agence du Service Civique et Marlène Schiappa, la Secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations : « est-ce votre rôle de payer la propagande d’une asso islamiste @AssoLallab ?  »
Le 17 août, le président du collectif étudiant Marianne, proche du Front National, qualifie l’association d’« ennemi de la République ». Le même jour, l’agence du service civique lui répond directement surTwitter en précisant que l’annonce est finalement retirée du site : « la mission proposée ne répond pas aux principes fondamentaux du @ServiceCivique, elle n’est plus en ligne sur notre site ». En effet, un jour plus tôt, le 16 août, les annonces de poste de l’association sont suspendues sans préavis par le site gouvernemental. Ce faisant, l’agence semble donner raison aux détracteurs de l’association tant est si bien que le collectif Marianne crie victoire : « À la suite de nos protestations, le service civique n’enverra aucun jeune à l’@AssoLallab ! » Suite à ce retrait de l’annonce, l’agence du service civique demande à Lallab d’obtenir son propre agrément au lieu de passer par Unis-Cité pour publier ses annonces, une démarche qui durera plusieurs mois. Sarah Zouak directrice de l’association explique alors quelques jours plus tard à Médiapart : « Nous rencontrons [l’agence du service civique] la semaine prochaine et faisons tout pour que cela se passe au mieux. Mais c’est difficile pour nous, car nous perdons un temps fou et une énergie incroyable. »
Les répressions contre l’association sont ici deux ordres : d’une part, une campagne de cyberharcèlement contre l’association relayée entre autre par des personnalités publiques (notamment le préfet Gilles Clavreul). D’autre part, le retrait des annonces et la suppression de la possibilité pour l’association de publier ses annonces via le compte d’Unis Cité, mises en œuvre par l’agence du Service civique.

III – Un cyberharcèlement dénué de fondements, une institution qui n’assume pas

A- Une campagne de harcèlement dénuée de fondements

Cette campagne de cyberharcèlement, dont les éléments ci-dessus ne donnent qu’un petit aperçu, ne se base en réalité sur aucun propos tenu par l’association, ni aucune de ses actions. Les rares éléments factuels avancés concernent les soutiens de l’association.
Ils ciblent notamment Asma Lamrabet, médecin marocaine à l’hôpital de Rabat et marraine du festival « Lallab Birthday » en mai 2017. Elle est accusée de tolérer les violences faites aux femmes sur la base de citations tronquées de son ouvrage Islam et femmes. Les questions qui fâchent [1]. C’est ensuite Ismahane Chouder, coprésidente du Collectif féministe pour l’égalité, une association cofondée par la féministe Christine Delphy fin 2004 en réaction à la loi sur les signes religieux dans les écoles publiques et intervenante lors du même anniversaire de Lallab en mai 2017, qui est accusée sur la base d’une photographie d’avoir participé à des rassemblements de la Manif pour tous. Une accusation qui, en plus de ne pas pouvoir constituer une justification de la sanction, est fausse. La photographie en question ne la montre pas. Elle est également accusée d’être proche d’une association, Alliance Vita, qui milite contre l’avortement. Ce que la militante conteste fermement.

B- L’agence de Service civique invoque des justifications techniques

Suite à la mise en cause de son action sur les réseaux sociaux, l’Agence du service civique dément, dans un communiqué de presse, avoir cédé aux détracteurs de l’association [2]. Enréponse au média BuzzFeed, l’Agence précise qu’il ne s’agit pas d’une décision liée au convictions politiques ou religieuses de Lallab mais d’un problème technique. «  Le service civique a été accusé de répondre aux sollicitations de la fachosphère, mais il n’y a pas de lien. L’annonce a été dépubliée comme de nombreuses annonces le sont, c’est quelque chose de très classique. Une fois qu’une annonce est publiée sur notre site, on a un certain nombre de filtres qui nous permettent de contrôler que les annonces correspondent en tous points aux principes fondamentaux du service civique. »
La raison avancée de la dépublication serait donc que l’annonce, telle que rédigée par l’association, pourrait être interprétée comme du salariat déguisée. Selon l’Agence du service civique, deux principes fondamentaux du service civique n’étaient pas respectés : « Le principe d’accessibilité n’était pas totalement respecté, puisque les missions proposées par l’association nécessitaient un haut niveau de qualification. Le principe de complémentarité posait aussi question. En effet, les missions proposées aux volontaires doivent être complémentaires à celles des salariés et ne pas s’y substituer. » L’Agence ajoute : « On a parlé d’une dépublication, car c’est en attendant que les missions soient rendues conformes. On ne parle pas d’exclusion d’une association  » (Buzzfeed, ibid).
Elle explique que « la suspension de missions lorsqu’elles ne respectent pas les principes du service civique est une procédure courante. Cette suspension permet de revoir le contenu de la mission. Cette procédure standard a été suivie lorsque les missions proposées par l’association Lallab, en partenariat avec Unis-Cités, ont été dépubliées du site le mercredi 16 août dernier, en raison d’un risque de substitution à l’emploi. » [3] L’Agence du service civique reconnaît toutefois du bout des lèvres une «  maladresse de [leur] part, en répondant au compte d’un politique étiqueté FN sur Twitter » (Buzzfeed, ibid).

III – Une entrave associative illégitime aux lourdes conséquences

A- L’association conteste le fond et la forme de la décision institutionnelle

Sara Zouak, cofondatrice de Lallab, estime « affligeante » (Buzzfeed, ibid) la suppression de l’annonce suite à cette campagne de harcèlement et de diffamation. Elle insiste notamment sur la formulation des missions et son adéquation avec les principes de l’agence : «  Il est faux de dire que c’est du salariat caché, puisque nous avons deux salariés à la rentrée prochaine et les différents pôles d’activité sont gérés par des bénévoles. Les services civiques sont là juste en soutien, comme dans d’autres assos. Si c’était ça le problème, il aurait été plus simple de nous appeler ou de nous contacter. On va retravailler ce point-là [4] ».
Elle insiste également sur les modalités d’exercice de la sanction car l’association n’a pas été informée en amont des mesures prises par l’agence : « Quand bien même nos missions posaient problème, il nous semble que la procédure logique aurait été de nous contacter directement plutôt que via une réponse Twitter à l’un de nos détracteurs ». « L’agence du service civique n’a pas pris le temps de nous écrire ou de passer par Unis-cités et a répondu à ce tweet. Quand nous sommes allées sur notre compte, nous avons découvert qu’il avait été fermé, alors qu’il y avait déjà plus d’une trentaine de candidatures. »

B- Analyses de l’association et conséquences d’une vague de dénigrements publics

Le 19 août 2017, l’association publie un communiqué qui fait le point sur la campagne de harcèlement et les sanctions institutionnelles dont elle a fait l’objet [5].

Elle précise sur avoir «  subi [sa] troisième campagne de #désinformation et de #cyberharcèlement, et cela en moins de 9 mois. Cette dernière campagne est de loin la plus violente et la plus désastreuse, touchant via des pressions permanentes les membres de l’association et ses allié·e·s. »

Sarah Zouak témoigne des conséquences de cette campagne : « plus on veut faire entendre nos voix, plus on essaye de nous silencier. C’est affligeant de se dire qu’une association qui défend les femmes musulmanes, est associée aux Frères musulmans et accusée d’islamisme. Ça a des conséquences réelles sur nos vies. C’est très difficile de subir de telles violences, notamment quand les discriminations viennent d’institutions étatiques. » [6]

Dans son communiqué, l’association explique que « la déformation grotesque de l’essence même de notre message cherche à mettre en péril les ambitions et actions de Lallab. Une telle campagne de harcèlement fragilise indéniablement nos relations et nos liens avec nos partenaires, elle entraîne également des pertes de temps, d’énergie et de ressources considérables, surtout dans un contexte de travail entièrement bénévole. »
Sarah Zouak et Ismahane Chouder, co-présidente du collectif féministe pour l’Égalité, apportent des éléments d’explication à cet acharnement autour des femmes musulmanes : « À chaque fois que nous, femmes racisées, nous essayons de nous organiser, de faire entendre nos voix, on peut être sûr qu’une campagne cherchera à nous faire taire. » alerte Sarah Zouak «  Ce qui les rend fous, c’est comment une femme musulmane pensée comme une femme soumise qu’il faut libérer peut prétendre se définir elle-même et occuper l’espace public » selon l’avis d’Ismahane Chouder.
Quelques jours après cette polémique, le 28 août 2017, l’association publie dans son magazine un article de « (dé)construction » des propos tenus à son encontre dans les médias. Ecrit sous la forme d’un fact-checking, cet article répond notamment aux accusations d’islamisme et de communautarisme [7].
En voici quelques extraits :
 Par rapport au port du voile et à la défense des femmes : “Nous ne nous positionnons ni sur le port du voile ni sur aucun autre mode vestimentaire ou pratique religieuse. Au sein de l’association, tous les choix sont représentés. Nous sommes une association féministe et antiraciste se voulant la plus inclusive possible.” ; “Lallab condamne les violences faites envers TOUTES les femmes, et ce, quelle que soit la forme de ces violences, les lieux où elles arrivent et par qui elles sont perpétrées ! Nous le répétons fermement : nous nous lèverons aux côtés de chaque femme contre tout ce qui ira à l’encontre de son libre arbitre et de ses libertés.”
  Par rapport aux accusations de rapprochement avec les Frères musulmans : « Lallab n’a aucun lien avec les Frères Musulmans, ni avec aucun autre parti politique et religieux. Ces accusations mensongères visent encore et toujours à délégitimer et diaboliser nos actions au quotidien. Nous ne cesserons de le répéter : Lallab est une association apartisane et areligieuse. Et non, parler des femmes musulmanes ne fait pas de nous une association musulmane/islamique. »
 Par rapport aux accusations de communautarisme et d’atteinte à la laïcité : «  Loin de se positionner contre la laïcité telle que promue par la loi de 1905 qui promulgue la séparation de l’Église et de l’État, Lallab reprend et applique son principe fondamental : la liberté de tou·te·s. Nous critiquons au contraire une vision déformée et erronée de cette loi, trop souvent instrumentalisée par la volonté d’exclure et de discriminer certaines personnes, et notamment les femmes musulmanes. », « Lallab est ouverte à toute personne souhaitant s’engager à nos côtés et partageant nos valeurs. Ainsi, nous comptons parmi nos bénévoles des personnes musulmanes et non musulmanes, des femmes ainsi que des hommes !  »

Type d'action collective sanctionnée

Possibilité de recruter des services civiques pour l’association

Institution responsable

Agence du service civique

Conséquences pour l’association

Destabilisation financière, cyberharcèlement, atteinte à la réputation, propos racistes

Sources

Presse, réseaux sociaux, communiqué de presse, déclarations publiques

Date