Un article proposé par VoxPublic le 26 janvier 2023.
Le 1er janvier 2022 le contrat d’engagement républicain (CER), prévu par la loi confortant les principes de la République, dite « loi séparatisme », entrait en vigueur par décret du ministre de l’Intérieur. Désormais, toutes les associations qui sollicitent un agrément, un soutien financier ou matériel de l’Etat, d’une administration ou d’une collectivité territoriale, doivent se soumettre au respect de l’« ordre républicain ». Un « ordre » sujet à de nombreuses interprétations politiques et personnelles, tant du côté de certains élu·es que de préfet·es qui n’apprécient pas les libertés associatives.
L’administration a ses lenteurs et il aura fallu attendre le mois d’octobre 2022 pour que les préfet·es reçoivent une circulaire d’application du CER. Depuis, les procédures s’accélèrent. Cette circulaire clarifie les cibles à privilégier : les associations auxquelles participent des personnes musulmanes, les associations écologistes, et les groupuscules politiques (les « identitaires » étant cités).
Marlène Schiappa, instigatrice de la loi séparatisme lorsqu’elle était encore rattachée au ministère de l’Intérieur, claironnait qu’elle ne voulait « plus un centime d’argent public pour les ennemis de la République ». Lorsqu’il s’agit d’expliquer aux préfet·es à quoi correspond l’engagement n°6 du CER sur le « respect de la dignité », la circulaire propose de retirer ou refuser les subventions aux associations qui feraient : « la promotion d’idées dégradantes pour la dignité humaine, comme le fait de prôner l’excision des femmes », soulignant explicitement le caractère outrancier et discriminatoire de cette loi et son application. Le ministère de l’Intérieur et ses services n’ont jamais été capables de produire la moindre preuve que des fonds publics aient jamais servi à promouvoir un tel acte de mutilation féminine ou encore à financer des entreprises terroristes. Pourtant, la légitimation de cette loi repose sur le fait que de tels soutiens aient pu exister et que des contrôles renforcés étaient nécessaires. Alors dans le doute, les autorités poursuivent leur « chasse aux sorcières », contre les associations dans lesquelles seraient engagées des personnes musulmanes ou considérées comme telles.
**La liste des « suspects » s’élargit inexorablement...
A l’automne, c’est un groupe local de la Ligue des Droits de l’Homme qui s’est vu couper une subvention par le département du Val-de-Marne, jusque là accordée chaque année, au motif que l’association n’aurait pas suffisamment fait la démonstration de sa volonté de promouvoir la laïcité. La défense des droits des minorités et des plus précaires, comme la promotion de la liberté et de la fraternité, sont désormais suspectées d’être contraire aux « valeurs républicaines » : bienvenue en absurdistan.
L’autre cible du CER, c’est-à-dire du ministère de l’Intérieur, ce sont les associations écologistes et plus particulièrement celles qui ont recours aux actions de désobéissance civile, qualifiées de manière irresponsable d’« écoterrorisme » par M. Darmanin. A Poitiers, le préfet, ancien directeur de campagne d’Emmanuel Macron, cherche à tordre le bras à la mairie, dirigée par l’élue écologiste Léonore Moncond’huy, et à l’agglomération Grand Poitiers, pourles forcer à retirer leur subvention à l’association Alternatiba Poitiers. Leur tort ? Avoir organisé, en septembre 2022, un paisible « village des alternatives » où se sont tenus un débat sur les très controversées "méga-bassines" dans les Deux-Sèvres et un atelier sur la désobéissance civile. L’affaire suit désormais son cours en justice, et de nombreuses associations et syndicats sont parties prenantes.
A Lille, en décembre 2022, à la demande de conseillers régionaux Les Républicains, le préfet a menacé de couper les fonds de la Maison régionale l’environnement et des solidarités (MRES) car ce tiers-lieu associatif aurait mis une salle de réunion à disposition d’un collectif (N.A.D.A) « contre le projet climaticide d’agrandissement de l’aéroport de Lille Lesquin, visant à doubler sa surface et sa fréquentation annuelle d’ici 2040 » (infos et pétition).
Mi-janvier, des membres de la Coalition pour les libertés associatives et de son Observatoire, qui organisent une veille active sur l’application du CER, se réunissaient pour un premier bilan de cette année écoulée.
Toutes et tous dressent le même constat : le CER participe d’une ambiance répressive anti-associations qui préexistait à sa mise en application, et constitue un nouvel instrument d’intimidation à destination des associations, et plus particulièrement celles qui sont des « cibles politiques » pour le pouvoir exécutif.
L’autre constat partagé est que le CER est, pour l’instant, plus « brandi comme épouvantail » que réellement appliqué. Lorsque des collectivités ou préfet·es zélé·es s’évertuent à l’appliquer, le cadre prévu par la loi, en particulier le droit donné aux associations de bénéficier d’une procédure contradictoire, n’est pas correctement respecté. Un vent de « n’importe quoi » souffle dans les voiles des oppresseurs anti-associations, et cela pourrait durer si la riposte ne forcit pas.
Des membres de la Coalition (VoxPublic, Cimade, Pas sans Nous, le CAC...) participeront prochainement à organiser des formations à destination des associations pour mieux faire face aux attaques et sur les possibilités de recours contre les abus liés au contrat d’engagement républicain.
Sur le sujet, nous vous invitons à écouter le podcast "Questions d’asso" dans lequel Benjamin Sourice, de VoxPublic, revient sur ce bilan du Contrat d’engagement républicain aux côtés d’Alternatiba : https://www.questions-asso.com/episodes/s02/episode3.html