Fiche n°123

Une association de soutien aux immigrés accusée de complaisance avec le terrorisme et d’être anti-républicaine

Présentation

Suite à un communiqué de la LICRA demandant à la maire de Paris, Anne Hidalgo, de ne pas financer la Fédération des Association de Solidarité avec Tou-te-s les Immigré-e-s (FASTI), l’association s’est vue suspendre le vote de sa subvention municipale. Par la suite, plusieurs hommes politiques ont récupéré cette polémique pour disqualifier publiquement l’association : « soutien au terrorisme », « membre de la mouvance indigéniste », etc. La FASTI dénonce son instrumentalisation dans un débat politicien.

Description

I- Contexte et description des faits

Le 12 novembre 2018, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) publie un communiqué sur son site internet : « Si le réseau des FASTI a joué par le passé un rôle d’importance sur l’aide aux étrangers au sein du mouvement associatif, ses prises de position actuelles rendent choquantes l’idée même de l’octroi d’une subvention d’argent public. Les FASTI défendent l’idée que la France mènerait une politique de « racisme d’Etat », de « xénophobie d’Etat » néocoloniale, que la police organiserait des « rafles » sur ordre du Gouvernement. Elle défile également aux cotés des Indigènes de la République et du mouvement BDS. (…) la LICRA demande solennellement à Mme Anne Hidalgo de ne pas financer une officine de cette nature, dont les discours justifient le pire et vouent aux gémonies les valeurs de la République, et appelle les élus de Paris à s’opposer à cette subvention. » [1]
Le même jour, Pierre Liscia, élu du 18e arrondissement de Paris, intervient au Conseil municipal, contre l’octroi d’une subvention à l’action de la FASTI de la Goutte d’Or : « C’est une association militante politique qui a des prises de position particulièrement radicales et virulentes et qui pose la question du respect d’un certain nombre de principes républicains. Ils ont un "journal d’informations militantes" qui s’appelle "ouvrons les frontières" et dans lequel ils demandent régulièrement "la fin de la politique coloniale de la France à Mayotte, en Guyane et dans l’ensemble des DOM-TOM", "Où l’Etat a instauré et entretien un régime inégalitaire, discriminatoire et violent". Je pense que les mots ont un sens. C’est une association qui a activement milité contre la loi "Asile et immigration" c’est leur plus grand droit mais ils considèrent que c’est une loi "discriminatoire, xénophobe et liberticide" et que c’est "un pas de plus vers la fin de l’Etat de droit". Je crois que les mots, encore une fois, ont un sens. Et elle n’hésite pas à faire un parallèle que je trouve indigne et écœurant entre les politiques qui ont été menés par les gouvernements Valls, Cazeneuve, Collomb avec les lois du régime de Vichy contre les Juifs et les Tsiganes et dénoncent à chaque opération de mise à l’abri des populations migrantes des "rafles" par les policiers. Encore une fois, les mots ont un sens. Enfin, c’est une association qui dénonce le "racisme d’Etat" en France dirigé contre les minorités "comme les Musulmans et les migrants". Parler de « racisme d’Etat » quand on est une association qui prétend obtenir des financements publics, je trouve ça particulièrement indigne. Moi, ça me choque, ça me gêne, je ne voterai pas cette subvention (…). »
Le 29 octobre 2019, Robin Réda, député de l’Essonne, aborde le cas de la FASTI pour dénoncer à l’assemblée nationale des associations « qui justifient les attentats de 2015 au nom de la paupérisation et assimilent les policiers à des oppresseurs au service de la domination capitaliste »
Le 24 septembre 2020, Robin Réda, une nouvelle fois, en tant que président de la Mission d’information sur l’émergence et l’évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter, mentionne l’association comme étant un mouvement « anti-républicain ». Le 7 octobre 2020, enfin, Pierre Liscia, s’attaque à nouveau à la FASTI dans l’émission de CNEWS « L’heure des Pros » de Pascal Praud. Il accuse l’association « d’incit[er] à la haine des forces de l’ordre, d’incit[er] à la haine de la France » et de « justif[ier] le terrorisme ».

II- Justifications de l’institution

Les nombreuses attaques publiques dont a fait l’objet l’association semblent avoir pour point de départ le communiqué de la LICRA publié le 12 novembre 2018. Celui-ci indique : « Les FASTI défendent l’idée que la France mènerait une politique de "racisme d’Etat", de "xénophobie d’Etat" néocoloniale, que la police organiserait des "rafles" sur ordre du Gouvernement. Elle défile également aux cotés des Indigènes de la République et du mouvement BDS. Pire encore, les réactions officielles de la FASTI aux attentats terroristes islamistes de 2015 donnent la nausée. Au sujet des attentats de janvier 2015 : "La violence meurtrière, nihiliste, que nous avons vu exploser ces derniers jours prend racine dans un contexte d’inégalités sociales et territoriales produites par le système capitaliste. (…) Ces trois jeunes français doivent être traités en ennemis politiques qui défendent une idéologie dont nous ne voulons à aucun prix. Comme nous ne voulons pas non plus du monde qu’entendent "protéger" les classes dominantes dont les plus éminent-e-s représentant-e-s ont marché le 11 janvier dernier dans les rues de Paris. Ceux-là mêmes qui mènent au nom de la « civilisation » des guerres meurtrières contre les populations des pays des Suds en s’appuyant ici ou là sur des régimes dictatoriaux et/ou religieux oppressifs. L’appel à "l’unité nationale", la glorification des forces de l’ordre dominant – policiers et militaires – n’ont qu’un seul but : relégitimer les politiques (néo)coloniales et capitalistes qui sont la cause même de ces violences. " Au sujet des attentats du 13 novembre 2015 : "On peut déjà, comme Saïd Bouamama, et comme d’autres chercheur-se-s, rappeler que ces attentats sont, entre autres, la conséquence des politiques internationales menées par les pays occidentaux (interventions militaires en Irak, en Afghanistan, au Mali, en Syrie… ; soutien apporté à des dictateurs pour des intérêts financiers, etc.) et la conséquence de la politique économique et sociale de la France qui paupérise toujours davantage les quartiers populaires dans le cadre de discours médiatiques stigmatisants. " Ces propos sont insupportables. Ils reprennent au mot près l’argumentation islamiste visant à justifier les attentats. En 2015, ces prises de positions avaient conduit l’Etat à ne plus financer les FASTI. »

III - Justifications de l’association

« La FASTI et le Mouvement des Asti sont présents sur le terrain, depuis plus de 50 ans, à travers de nombreuses actions de solidarité concrète avec les personnes étrangères : permanences juridiques, cours de français, accompagnement à la scolarité, groupes de discussions, mobilisations, actions de sensibilisation etc…
Aujourd’hui comme hier, ces actions s’inscrivent dans un positionnement résolument antiraciste, anticolonial, anticapitaliste et féministe. La FASTI a toujours lutté contre les politiques de l’Etat dès lors qu’elles organisent l’inégalité entre les personnes. La revendication d’égalité réelle entre toutes et tous est au fondement de la création de la FASTI et anime aujourd’hui encore les 57 associations et 2 000 bénévoles qui accueillent et accompagnent plus de 25 000 personnes étrangères chaque année. » [2]
« Lancée en novembre dernier à l’initiative de Pierre Liscia, élu du 18ème arrondissement de Paris, et reprise par la LICRA, cette attaque a depuis été largement désavouée, avec la décision de la Mairie de Paris de rétablir le vote de notre subvention. Cette décision a été précédée d’enquêtes et de rencontres au cours desquelles nous avons apporté l’ensemble des éléments relatifs à nos valeurs, nos actions et nos financements. Par ailleurs, la FASTI a été soutenue par de nombreux acteurs et actrices de la solidarité. La Tribune « Nous sommes solidaires de la FASTI » a été signée par 69 associations, 15 élu-e-s, 7 partis politiques, 4 syndicats et 112 signatures individuelles (dont de nombreux-ses chercheur-euse-s et militant-e-s associatif-ve-s).
Nous ne savons pas si vous vous êtes exprimé dans le cadre de votre candidature envisagée à la Mairie de Paris ou en votre qualité de Porte-parole du gouvernement, auquel cas cette mise en cause gouvernementale diffamatoire et menaçante en dehors de tout examen contradictoire et sans même nous avoir entendu constituerait un acte arbitraire.
Comment pouvez-vous affirmer Monsieur le Secrétaire d’État que la FASTI contrevient aux valeurs de la République quand elle fait consacrer par le Conseil constitutionnel, avec d’autres associations, la fraternité comme principe fondamental ?
Comment pouvez-vous affirmer, Monsieur le Secrétaire d’État, que la FASTI contrevient aux valeurs de la République, quand elle lutte au quotidien pour l’égalité, la liberté, la solidarité et contre les politiques qui les malmènent ?
Lorsque l’État ou une collectivité territoriale accorde une subvention, il ou elle ne s’attache pas aux opinions ou analyses de l’association qui la demande mais à l’action envisagée par l’association, dont la nature et les objectifs doivent être conformes à l’intérêt général. D’ailleurs, personne ne conteste le fait que la subvention accordée par la Mairie de Paris pour les couturiers de la Goutte d’Or soit d’une très grande utilité. C’est le cas, par ailleurs, pour tous les autres projets menés par la FASTI et le Mouvement des ASTI.
Vous le savez bien, selon l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et du citoyen, la liberté d’opinion et d’expression sont des droits précieux et ne peuvent être limités que si leur manifestation trouble l’ordre public ou constitue l’un des abus prévus par la loi ? Or, en 50 ans d’existence, rien de tel n’a jamais été reproché à la FASTI !
Avec la FASTI et le Mouvement des ASTI, ce sont des centaines de permanences et d’ateliers mené-e-s le plus souvent bénévolement sur l’ensemble du territoire chaque semaine. Ce sont plus de 20 000 personnes accompagnées chaque année dans leur accès aux droits, l’apprentissage du français ou l’accompagnement à la scolarité. Ce sont des mobilisations quotidiennes pour l’égalité entre les personnes, étrangères ou non, racisées ou non, femmes ou hommes. Notre analyse et nos positions ne viennent pas de nulle part : elles sont la caisse de résonance de notre expérience de terrain et de la réalité à laquelle nous nous confrontons tous les jours.
S’agissant de notre expression libre, oui, nous parlons de discriminations systémiques dont font l’objet les personnes étrangères et/ou racisées dans notre société (accès aux études, à l’emploi, au logement, à la parole publique etc.…), pour dénoncer les discours publics qui stigmatisent les migrant-e-s et les personnes racisées. Ce positionnement, développé par des sociologues et des militant-e-s, ne fait pas l’amalgame avec celui d’État raciste mais pointe les responsabilités que peut avoir L’État dans la reproduction de rapports sociaux racialisés.
Oui, nous combattons le colonialisme, ce « crime contre l’humanité » selon le Président de la République et nous disons qu’il ne s’est pas éteint avec l’accession à l’indépendance des anciennes colonies. La persistance de rapports de domination coloniaux est visible à différentes échelles : dans les quartiers populaires, en Outre-mer ou dans les relations avec les pays des Suds, notamment dans la « gestion » des migrations.
Oui, nous pensons que la condamnation des attentats – que nous avons exprimée à maintes reprises – ne doit pas empêcher de réfléchir aux différentes causes de la haine de ceux qui commettent ces actes barbares.
Nos analyses, nos positions participent à faire vivre le débat démocratique. Nous les défendons depuis notre création en toute indépendance, sans aucune inféodation à quelque parti que ce soit. Nous sommes solidaires des luttes de tou-te-s celles et ceux qui combattent les discriminations dont elles et eux sont victimes.
En nous opposant systématiquement aux politiques dès lors qu’elles réduisent les droits et les libertés et organisent l’inégalité, nous pratiquons la liberté d’expression.
Les subventions publiques ne font pas de celles et ceux qui les reçoivent des officines de l’administration française. Vous avez le droit de ne pas être d’accord avec nous mais pas celui de nous faire taire ! En brandissant la menace de retirer nos subventions publiques, vous mettez à mal la liberté associative et la liberté d’expression. Vous semblez oublier que les subventions publiques ne relèvent pas de la charité, mais des impôts et cotisations de chaque contribuable, et qu’elles financent des projets concrets.
Si votre prise de position n’engage pas le gouvernement mais s’inscrit seulement dans le cadre de votre rivalité avec la municipalité de Paris, nous tenons à vous dire que la liberté d’expression, le travail pour l’égalité ne doivent pas être l’otage d’une bataille électorale. » [3]

Institution responsable

Pierre Liscia, conseiller municipal de la ville de Paris ; Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement ; Robin Réda, député Les Républicains de l’Essone

Conséquences pour l’association

Menaces de coupures de subventions

Date