À propos

L’Observatoire, à travers la rédaction d’un rapport inédit, vise à documenter de façon plus systématique la pluralité des atteintes aux libertés associatives et des entraves à la capacité d’agir collectivement des citoyens dans la France contemporaine.

En septembre 2018, l’administration pénitentiaire met fin à la convention qui la liait depuis plusieurs décennies au Genepi, qui intervient auprès des personnes incarcérées. La décision entraîne pour l’association une coupure de ses subventions et la restriction de son accès aux prisons. L’un des motifs invoqués pour justifier ces sanctions désigne les positions critiques émises par le Genepi à l’égard du fonctionnement du système pénitentiaire. « Il n’est pas cohérent pour nous de subventionner une association qui s’attaque aux fondements mêmes de notre institution » explique alors à Libération le ministère de la Justice, avant de revoir sa position à la suite du tollé suscité par cette décision. Dans le Nord, en 2016, une association de jeunesse de Roubaix se voit couper ses subventions municipales et expulser de son local suite à son engagement auprès d’habitants opposés au projet de rénovation de leur quartier. À Landivisiau en Bretagne, les membres d’un collectif citoyen qui s’oppose à la création d’une centrale à gaz se retrouvent au cours de l’année 2019 la cible d’amendes répétées et de perquisitions. Ils décrivent ce traitement d’exception comme un « harcèlement judiciaire » de basse intensité freinant considérablement leurs activités. A Toulouse à la même période, un centre de santé associatif installé dans un quartier populaire se voit couper sa subvention préfectorale car il serait “trop militant” aux dires des pouvoirs publics et engagerait trop de procédures contentieuses auprès des tribunaux concernant les refus de prise en charge de certains patients par l’aide médicale d’État.

Ces situations, bien que différentes (tant par le type d’association concernée que par les réponses apportées par les institutions) posent cependant une même question : quelle reconnaissance et quel respect par les autorités publiques de la liberté d’action et de critique des associations ?

Différents cas de restriction aux libertés associatives comme ceux évoqués ici ont conduit, fin 2018, à une première interpellation du Secrétaire d’État en charge de la vie associative par le Collectif des Associations Citoyennes et le Mouvement Associatif. Lors d’une entrevue en février 2019, le Secrétaire d’Etat a répondu aux représentants associatifs qu’il ne voyait pas où se situait le problème. A ses yeux, la liberté d’association est bien protégée en France depuis la loi de 1901. Les restrictions, quand elles existent, seraient selon lui légalement encadrées pour les actions collectives qui menacent l’ordre public. Après présentation de plusieurs cas, le Ministre avait nuancé son jugement et concédé le besoin de mieux comprendre la réalité du phénomène pour éventuellement envisager des solutions.

Un Observatoire des libertés associatives pour documenter les restrictions

La faible reconnaissance du problème de la restriction des libertés associatives par les autorités publiques locales et nationales a incité plusieurs associations concernées à constituer à partir de mars 2019 un Observatoire. L’Observatoire des libertés associatives cherche ainsi à donner une visibilité large à un phénomène souvent occulté, presque ignoré par les médias, banalisé par le politique et parfois intériorisé par les associations elles-mêmes. Pour ce faire, il s’est donné, pour sa première année d’existence, trois objectifs principaux :

  • Documenter de façon méthodique 100 cas d’atteintes aux libertés associatives en France.
  • Mettre à l’agenda la question des restrictions aux libertés associatives via un travail de publicisation : site dédié, rapport, événements, témoignages.
  • Imaginer des pistes de solutions pour limiter les restrictions abusives.

Ce rapport présente les résultats de cette première année de travail. Les cas documentés ayant nourri la rédaction figurent en annexe (également disponible sur le site internet de l’Observatoire). Le premier chapitre introduit le contexte général et les concepts mobilisés. Le deuxième chapitre présente les résultats de l’enquête et les contours de cette réalité associative méconnue. Enfin, quinze pistes de solutions envisagées sont présentées dans le chapitre 3.

La défense des libertés associatives : un impératif démocratique

Les mondes associatifs se trouvent aujourd’hui confrontés à un paradoxe : alors qu’on valorise comme jamais la participation citoyenne et la co-construction des politiques publiques, tout se passe comme si, bien souvent, on empêchait les associations de mener à bien cette mission. Alors qu’on n’a jamais autant parlé de « pouvoir d’agir des habitants », et que la démocratie participative s’expérimente désormais à l’échelle nationale et jusqu’au plus haut sommet de l’État (Grand débat national, Convention citoyenne sur le climat, réforme en cours du Conseil économique, social et environnemental), les acteurs essentiels que sont les associations apparaissent non seulement dépourvus des moyens pour mener à bien ces missions, mais parfois remis en cause dans leur existence, marginalisés voire ouvertement attaqués par les pouvoirs publics à la suite de prises de position critiques.

Le Comité des droits de l’homme de l’ONU souligne que la mise en œuvre effective du droit de participation aux affaires publiques exige non seulement une presse libre, mais aussi d’autres organes d’information – dont les associations et groupements citoyens – qui soient en mesure de commenter toute question publique, sans censure ni restriction, et capables d’informer l’opinion publique.

Dans le contexte de profonde crise démocratique que nous traversons, les actions collectives et prises de position critiques des associations apparaissent indispensables à la régulation politique quand elles ne sont pas, comme souvent dans l’histoire, les prémices de changements législatifs. Que ce soit au niveau local, régional ou national, de nombreuses associations participent à faire vivre le débat public et permettent l’exercice de la citoyenneté. En cela, elles constituent un maillon essentiel du fonctionnement démocratique. Elles contribuent à la formation des intérêts et des opinions. Elles jouent également un rôle de plaidoyer visant à formuler et faire remonter des propositions qui pourront nourrir l’action et les politiques publiques.

Le recensement des cent cas de ce rapport indique que les protections des associations et des citoyens qui s’impliquent dans le débat démocratique sont insuffisantes au vu du rôle décisif qu’ils ont à y jouer. La meilleure connaissance des abus actuels doit aider à concevoir des règles du jeu plus protectrices. C’est tout l’enjeu de ce travail : documenter les restrictions des libertés associatives et dégager des pistes d’action afin de permettre leur épanouissement, indispensable au bon fonctionnement de la démocratie.