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Fiche n°131

Coupes de financement et fermeture d’une MJC à Tourcoing au nom d’une conception erronée de la laïcité

Présentation

Fin septembre 2022, la Caisse d’allocation familiale, la préfecture du Nord et la mairie de Tourcoing décident de suspendre les financements qu’elles attribuaient jusqu’alors à la MJC du Virolois. Déjà en grande difficulté financière, la MJC se déclare en cessation de paiement, avant d’être placée en liquidation judiciaire par le tribunal de Lille le 6 janvier 2023. La MJC du Virolois est fermée au public jusqu’à nouvel ordre et ses 17 salariés sont licenciés. Si les institutions expliquent l’arrêt des subventions en raison d’une mauvaise gestion financière interne, d’autres propos et documents révèlent que la Préfecture et la municipalité de Tourcoing reprochent notamment le port du voile, pourtant légal, par certaines des salariées, perçu comme une forme de prosélytisme.

Description

Mai 2022 : Le centre social du Virolois informe ses partenaires de ses difficultés financières en les prévenant notamment qu’il pourra difficilement organiser les centres de loisirs durant l’été et qu’il ne pourrait ouvrir qu’un mois sur deux. Ces difficultés financières sont notamment liées à la période du Covid (la MJC était alors restée ouverte). Elles ont été accentuées par la baisse des subventions Politique de la ville de la municipalité de Tourcoing en 2022.
25 juillet 2022 : la MJC reçoit une lettre recommandée de la Caisse d’allocation familiale (Caf) annonçant un contrôle portant sur la gestion de la structure prévu entre le 19 et le 30 septembre.
17 août 2022 : Le directeur contacte la Caf pour demander un report de quinze jours du contrôle, en raison de retards administratifs, pour pouvoir le faire dans de bonnes conditions et pour que le centre soit en mesure de fournir l’ensemble des documents qui lui seraient demandés. La Caf refuse cette requête.
19-30 septembre 2022 : Contrôle de la Caf. Le directeur remet au contrôleur les documents qu’il a à sa disposition en expliquant qu’il transmettra rapidement ceux qu’il ne possède pas encore. Le directeur affirme qu’au final, le contrôleur a eu accès à l’ensemble des documents qu’il avait demandés, bien que tardivement.
3 octobre 2022 : Réunion à la préfecture du Nord. Le président (bénévole) ne peut s’y rendre mais le directeur de la MJC, ainsi que la trésorière et le coordinateur du secteur jeunesse sont présents. Du côté des institutions, l’on trouve la préfète à l’Égalité des chances, la présidente de la Caf et la maire de Tourcoing. Celles-ci remettent en main propre aux représentants de la MJC un courrier annonçant à la MJC du Virolois qu’ils suspendent leurs subventions, ce qui représente plus de 80% des ressources du centre. Le directeur de la structure explique que cette coupe de 42.000 euros est problématique car les actions étaient déjà engagées depuis janvier.
Le courrier est également envoyé en recommandé au centre le même jour. On peut y lire : “les premiers éléments du contrôle sur pièce et sur place réalisé par la Caf du Nord au sein de votre structure font apparaître des dysfonctionnement avérés et structurels, notamment au regard des principes d’impartialité du service public, qui mettent en cause le fonctionnement satisfaisant de ce site de façon durable”.
Cependant, le rapport de la Caf du Nord n’a pas de valeur légale au moment de cette entrevue au sein de laquelle il est pourtant mobilisé. En effet, un contrôle administratif est un contrôle contradictoire. Après que le contrôleur ait fait son contrôle et rédigé son rapport, il doit l’envoyer par lettre recommandée à la structure qu’il a contrôlée. Cette dernière à alors 15 jours pour fournir, ou non, ses observations. Si elle n’émet pas d’observation, le rapport est considéré comme validé. S’il y a des contestations de la part de la structure, elles doivent être faites par écrit et envoyées au contrôleur. C’est donc une fois ce délai contradictoire passé que le contrôleur ajoute la réponse de la structure à son rapport en annexe et, en fonction, peut également ajouter une note complémentaire au rapport. C’est au terme de ce processus que le rapport a une valeur légale. En effet, le rapport de la CAF envoyé à la MJC est en effet daté du 14 novembre 2022.
Lors de cette entrevue, la maire de Tourcoing, Doriane Bécue, « aurait insisté sur les salariées voilées employées par la structure, pointant un souci de laïcité » selon des propos recueillis par une journaliste de Street Press. De plus, selon des propos consignés dans La Voix du Nord, la préfecture aurait déclaré que : « les tenues vestimentaires de certains salariés du centre social pour des activités financées par l’État sur les crédits politiques de la ville contreviennent au principe de laïcité »
Selon le directeur du centre, la mairie « voudrait qu’elles enlèvent leur voile » : « étant subventionnés par des institutions publiques, nous devrions appliquer les principes de laïcité du service public, selon la mairie ». Cependant, comme le rappelle le directeur : l’« association [est] régie par le droit privé. Ça serait même discriminatoire de demander à une femme voilée de retirer son voile. ».

Selon le directeur, la réponse de la préfète à l’égalité des chances aurait été la suivante : “Vous êtes l’employeur, vous pouvez demander lors de l’entretien d’embauche à ce que les personnes enlèvent le voile, sinon vous les embauchez pas.” Une demande discriminatoire et illégale. D’après le directeur, la préfète à l’égalité des chances aurait ensuite déclaré que l’association pouvait intégrer dans son règlement intérieur une disposition interdisant le port du voile. Les membres de la MJC lui ont alors rappelé que le règlement intérieur était également soumis au droit du travail et qu’on ne pouvait donc pas y inclure des dispositions discriminatoires. L’adjoint au maire de Tourcoing, Maxime Cabaye, a pour sa part déclaré à StreetPress : « La présence de salariées voilées pose des questions de laïcité et de radicalisme. Les centres sociaux sont en première ligne. Il n’y a pas eu de faits graves pour le moment, tant mieux ! Mais il est nécessaire de faire communauté et société. » Le soir même, lors du conseil d’administration de la MJC, un représentant de la mairie, Maxime Cabaye, demande la dissolution du conseil d’administration, ce qui est refusé.
4 octobre 2022 : Les salariés du centre sont convoqués à la mairie où il leur est proposé d’être reclassés. Au même moment, la mairie distribue dans tous les quartier du Virolois un courrier d’information pour annoncer la fermeture du centre. Après que la direction de la MJC ait alerté le commissaire aux comptes de la situation, celui-ci lance une procédure d’alerte. La MJC rencontre de graves difficultés financières : un certain nombre de fournisseurs n’auraient pas été payés, de même que les charges patronales depuis le début de l’année. De plus, selon la préfecture, le déficit cumulé de la structure atteindrait 10% de son budget, soit 100 000 euros pour l’année 2021.
6 octobre 2022 : La MJC, qui comptabilise 400 000 euros de dettes, se déclare en cessation de paiement et saisit le tribunal.
8 octobre 2022 : L’opposition interpelle les élus de la majorité à Tourcoing, sans obtenir de réponse claire, notamment sur « les dysfonctionnements avérés et structurels au regard des principes d’impartialité des services publics » qui avaient été déclarés dans un communiqué cosigné par la CAF, la préfecture et la ville.
14 octobre : Des usagers se réunissent et font part de leur colère.
21 octobre : Assemblée générale de l’association réunissant une centaine de salariés et riverains. Présente lors de cette Assemblée la conseillère municipale, Aïcha Benazier fait état des finances « catastrophiques » du centre. Selon l’élue, le centre n’aurait pas informé la municipalité de sa situation financière ni fourni des documents réclamés par la Caf lors d’un contrôle entre le 19 et 30 septembre 2022. Le directeur affirme avoir « alerté sur nos soucis économiques en mai. Nous nous sommes organisés pour redresser nos finances. Cet arrêt brutal des subventions nous coupe dans cet élan ».
24 octobre : Nouvelle réunion du conseil d’administration avec le commissaire aux comptes.
28 octobre  : Nouvelle assemblée générale pour valider les comptes.
4 novembre : Audience auprès du tribunal de grande instance de Lille pour désigner un administrateur judiciaire.
6 janvier 2023 : La MJC est placée en liquidation judiciaire par le tribunal de Lille suivant les recommandations de l’administrateur judiciaire. Les 17 employés de la MJC du Virolois sont licenciés.

Type d'action collective sanctionnée

Ce ne sont pas les actions de la MJC qui sont sanctionnées, mais l’identité de ses salariés qui est attaquée. D’un côté, on reproche l’embauche de salariés qui portent un voile, vu comme présentant un risque de “prosélytisme”, les pouvoirs publics reprochant à la direction de la MJC de ne pas avoir eu de pratiques discriminatoires à leur égard. Ces reproches s’inscrivent dans un rapport conflictuel plus ancien entre la municipalité de Tourcoing et le directeur de la MJC. L’arrivée de celui-ci, militant politique dans une commune voisine, en 2020 aurait été vu d’un mauvais œil. Au-delà les activités menées par la MJC, touchant principalement un public populaire, pourraient apparaître en décalage avec les transformations structurelles du quartier, en voie de gentrification, les pouvoirs publics tentant d’attirer une nouvelle population de classe moyenne. Au final, la coupe de subvention de l’automne 2022 vient porter le coup de grâce à une structure mal en point financièrement, pour des raisons politiques - affaiblir un militant de gauche - et idéologiques, islamophobes.

Institution responsable

Commune, préfecture, Caisse d’allocation familiale (CAF)

Conséquences pour l’association

Fermeture

Sources

“Tourcoing : le centre du Virolois liquidé, 17 salariés sur le carreau.”, La Voix du Nord, 06/01/2023.
“La mairie de Tourcoing ferme un centre social qui embauche des femmes voilées.”, StreetPress, 27/10/2022.
“Déficit et non respect de la laïcité : les financements à une MJC de Tourcoing coupés net.”, Actu.fr, 04/10/2022
“Tourcoing : le centre social du Virolois plombé par d’importants déficits depuis 2019”, La Voix du Nord, 08/10/2022

Date