Fiche n°132

Dans le Limousin, trois médias indépendants se voient refuser des subventions de l’État

Présentation

Dans ce territoire rural, héritier d’histoires de résistance, Télé Millevaches (créée en 1986), IPNS (créé en 2002) et La Trousse corrézienne (créée en 2015) sont des médias locaux fondés sur un modèle associatif, pour délivrer, par le moyen télévisuel ou de la presse écrite, une information sur le territoire. Ces associations traitent notamment de questions sensibles localement, souvent avec un point de vue engagé. C’est ce qui expliquerait les entraves financières qu’elles ont subies de la part des Préfectures, au niveau de plusieurs subventions d’État (DRAC, FDVA, DDETSPP).

Description

2022

Mai 2022  : Télé Millevaches sollicite des nouvelles des dossiers de subvention auprès de la DRAC. Il leur est répondu que les dossiers ont rencontré des réponses positives. Le lendemain, la « DRAC » de Limoges leur envoie un mail pour signifier qu’en réalité, les dossiers vont devoir être réexaminés plus longuement.

Dès lors, tous les dossiers d’attribution de subventions de la DRAC sont mis en attente pour faire l’objet d’une étude approfondie par les préfectures de la Creuse et de la Corrèze. En 2022 et 2023, les 5 candidatures de Télé Millevaches à des appels à projet de la DRAC ont toutes essuyé un refus, alors que l’association bénéficiait de ces financements depuis 2016 au moins (22 acceptations pour 22 appels à projet DRAC de 2016 à 2021).

Ces suspensions de subventions publiques concernent donc une dizaine d’associations de Creuse. A ce sujet, la Préfecture déclare au Monde : « nous avons effectué un travail approfondi sur les demandes pour évaluer leur impact sur le territoire afin d’avoir un regard serré sur la façon dont sont dépensés les deniers publics. C’est tout à fait normal, Les délais d’instruction ont été un peu longs. (…) Il n’y a aucune considération politique dans ce processus. » (Le Monde, 10 août 2023).

La même année, La Trousse corrézienne se voit refuser des demandes de financement par le FDVA de Corrèze (FDVA 1 et FDVA 2), tandis que le journal indépendant avait obtenu ces financements encore en 2020 et partiellement en 2021. Durant l’une de ces réunions d’attribution, un élu du Département aurait déclaré : « C’est dommage de leur donner de l’argent alors qu’ils disent du mal de nous ». Une personne siégeant aussi au collège d’attribution expliquera à l’association que leur dossier a été écarté sans pouvoir être examiné. Le fait devient public, si bien que, en janvier 2023, le règlement intérieur du collège sera modifié pour rendre tous les échanges confidentiels.

Télé Millevaches, La Trousse corrézienne et IPNS reçoivent tous trois des financements essentiels issus du Fonds de soutien aux médias d’information sociale de proximité (FSMSP). Cette année-là, ils reçoivent le financement mais de façon extrêmement tardive, à l’issue d’un « arbitrage Ministres » (selon un.e fonctionnaire proche des dossiers) : il semblerait que le Ministère de l’Intérieur ait dû céder devant le choix du Ministère de la Culture de maintenir la subvention du FSMISP.

2023

En 2022 et 2023, les demandes de financement de Télé Millevaches au FDVA 1 et FDVA 2 ont toutes été refusées.

Télé Millevaches se voit refuser un financement par la Direction départementale de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP), alors que le média recevait ce financement chaque année depuis 2018 au moins.

Juin 2023  : les trois médias apprennent, non seulement qu’ils n’auront pas droit aux subventions du Fonds de soutien aux médias de proximité, mais, plus encore, que leurs dossiers ont été retirés de la liste examinée par la Commission consultative (au Ministère de la Culture).

« Télé Millevaches bénéficiait de l’aide du FSMISP depuis la création de ce fonds en 2016 sans discontinuer (pour un montant d’environ 19 000 €), ainsi qu’ IPNS depuis 2019 (pour 3500 €) et La Trousse depuis 2017 (pour 9000 € en 2022). » (IPNS, décembre 2023, p. 3).

Octobre et Novembre 2023  : les associations relancent, à plusieurs reprises, le Ministère de la Culture pour demander des explications, mais n’obtiennent pas de réponse claire. La liste officielle des bénéficiaires du FSMISP est finalement publiée, sans compter ces trois médias.

Décembre 2023  : coup de théâtre, après mobilisation et échos médiatiques, le budget du Fonds de soutien aux médias de proximité est rallongé a posteriori de 36.000€ (par la Direction aux médias du Ministère de la Culture) pour permettre de subventionner les trois médias en question.

2024

Les associations continuent de se mobiliser, étant donné qu’elles restent visées par des refus ou des réductions de subventions publiques, mais aussi dans la mesure où d’autres associations du territoire en sont la cible. Selon les associations et plusieurs médias nationaux, une « liste rouge » serait établie en Creuse et Corrèze, visant de plus en plus d’associations à ne plus financer.

Pour résumer : à partir de 2022, et surtout de 2023, les trois médias se voient refuser la quasi-totalité des subventions de l’État dont ils bénéficiaient, mis à part un « sauvetage » in extremis au niveau du FSMISP.

Type d'action collective sanctionnée

A ce stade, la seule explication plausible à ces suspensions de financements (explication qui n’a cependant jamais été officiellement confirmée), est que ces médias sont considérés comme trop critiques des pouvoirs publics, de certains élus locaux ou acteurs économiques du territoire. Ces points de vue critiques se mêlent aux coups de projecteur qu’elles mettent sur des projets économiques polémiques : ces différents médias ont, par exemple, documenté des mobilisations contre un projet de coupe rase à Tarnac (Corrèze) ou contre un projet d’extension d’une scierie industrielle (soutenue par la Préfecture et des élus de Creuse).
Du fait de ce rapport aux mobilisations écologistes locales – ainsi que de sociabilités militantes observées ou supposées –, ces médias seraient dès lors rattachés, de proche en proche, à la « mouvance ultra-gauche », active sur le Plateau de Millevaches. Plus généralement, un certain nombre d’associations semblent perçues par des services de l’État et élus comme des soutiens et relais de mobilisations et engagements écologistes ou « d’ultra gauche », dans la mesure où elles leur apporterait des ressources matérielles et de visibilité. Dans ce cas, il s’agirait donc de sanctionner des affinités politiques ou des sociabilités militantes jugées illégitimes et dangereuses par les détenteurs du pouvoir de police administrative.
Ces entraves seraient aussi à comprendre comme s’inscrivant dans une entreprise plus large de limitation des libertés associatives sur l’ensemble du territoire concerné, par le ciblage d’une variété d’acteurs du tissu associatif (éducation populaire, production culturelle et création artistique, défense de l’environnement, information critique, etc.).

Institution responsable

Préfectures de Nouvelle Aquitaine, de Creuse, de Corrèze, et Ministère de l’Intérieur
Direction Régionale des Affaires Culturelles de Nouvelle Aquitaine et Ministère de la Culture
Direction départementale de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP)

Conséquences pour l’association

 Épuisement moral des bénévoles et salarié.es. ;
 Annulation d’actions / activités / ateliers ;
 Évolutions imposées dans la gestion financière de l’association (ex. : augmentation de la dépendance aux abonnements individuels) ;
 Licenciements ou non renouvellement de contrats salariés, voire retour à du quasi-bénévolat.

Sources

« Comment la loi Séparatisme permet aux préfectures de frapper les associations au porte-monnaie », Basta mag, 23 novembre 2022.
« La loi “séparatisme“ invoquée en Corrèze contre des associations écologistes », Médiapart, 30 décembre 2022.
« Manifestations, squats : quand l’ultragauche vint troubler la tranquillité du Limousin », Le Figaro, 27 février 2023.
« En Creuse, Télé Millevaches réfléchit à son avenir », La Montagne, 6 juillet 2023.
« Millevaches. Le Plateau de résistance », L’Obs, 3 août 2023.
« Sur le Plateau, une « liste rouge » d’associations privées de subventions », Le Monde, 9 août 2023.
« Sur le Plateau de Millevaches, trois médias privés de subventions parce que trop à gauche », Street Press, 12 décembre 2023.
« Sur le Plateau des Millevaches, des médias locaux dénoncent une “chasse à l’ultragauche” », Libération, 17 janvier 2024.

Lettres ouvertes et communiquées de presse :
 Courrier du président de la Communauté d’agglomération « Grand Guéret » à la préfète de Creuse, 30 juin 2023.
 Courrier de réseaux d’acteurs associatifs et culturels au préfet de Nouvelle Aquitaine, 20 juillet 2023.
Réponse de la Préfète de la Creuse au courrier du 30 juin, 25 août 2023.

 Entretiens réalisés en décembre 2023 avec des acteurs locaux concernés (membres des associations en question, élus locaux, fonctionnaires).

Date