I – Contexte et description des faits
Depuis plusieurs années, l’AC développe des actions collectives visant à visibiliser des discriminations faites aux personnes musulmanes et tout particulièrement aux femmes. Parmi ces actions, un épisode à tout particulièrement attiré l’attention. Les 17 et 23 mars 2019, l’Alliance citoyenne organise des actions de désobéissance civile dans des piscines grenobloises en vue de faire évoluer leur règlement intérieur qui interdit le port d’un maillot de bain couvrant (burkini). Pour l’association et les femmes qui mènent cette action, le règlement des piscines est discriminatoire. L’action provoque une polémique nationale et la réaction de nombreuses personnalités politiques [1].
En avril 2020, l’association, en collaboration avec un consortium d’associations, répond à un appel à projet lancé par la Commission Européenne. Selon les auditeurs indépendants de la Commission Européenne, ce projet (« Femmes musulmanes debout pour que la tolérance soit la règle ») permettrait aux femmes musulmanes de « devenir des actrices du changement dans leurs communautés ou auprès des institutions avec lesquelles elles interagissent ». Le projet est retenu le 8 octobre 2020 par la Commission Européenne. En décembre 2020, la Commission Européenne adresse un courrier demandant des clarifications sur le projet de l’Alliance Citoyenne sur les actions d’accès à l’égalité en droit des femmes voilées. Courrier auquel l’association répond le 3 décembre 2020 [2].
Le 25 mars 2021, l’Alliance Citoyenne, apprend par voie de presse, en l’occurrence un article du journal Le Parisien-Aujourd’hui en France [3], que Gérald Darmanin a demandé quelques jours plus tôt, le 22 mars, dans un courrier adressé aux commissaires européens Yiva Johansson et Didier Reynders, respectivement en charge des Affaires intérieures et de la Justice [4], l’annulation du versement de la subvention de 60 000 euros. dans un courrier daté du 22 mars et. Le 25 mars 2021, l’AC publie un communiqué officiel afin de répondre aux accusations de Gérald Darmanin, se défendant de toute proximité avec une mouvance islamiste et dénonçant une « ingérence politique dans des procédures réglementaires rigoureuses de l’UE » [5].
II - Les justification du ministère de l’Intérieur
Le courrier du ministre de l’Intérieur introduit son objet par un motif de « lutte contre la radicalisation et les idées extrémistes ». Il indique que certaines « associations, à travers toute l’Europe, répandent un projet politique de rupture, parfois sous couvert d’antiracisme. » Il développe ensuite trois principaux griefs à l’encontre de l’Alliance citoyenne.
1° La volonté d’appliquer la charia et la dénonciation de l’islamophobie
Dans un premier temps, le ministre dénonce, sans pour autant sourcer précisément, le discours de l’association et son objectif caché : « L’objectif de cette association est, sous couvert de combattre l’"islamophobie", de faire pression sur les pouvoirs publics pour promouvoir, au profit des musulmans, des règles compatibles avec la charia. Ralliée à la mouvance de l’"antiracisme décolonial", elle a étendu son champ d’action à la dénonciation d’une prétendue "islamophobie institutionnelle" de la France. »
2° Des moyens d’actions illégaux
Sont ensuite abordés les « moyens d’actions », jugés « parfois illégaux » de l’association : « Des opérations de port de "burkini" dans les piscines sont menées par des militantes, en infraction avec des règlements sanitaires et de sécurité. »
3° Complotisme et complaisance avec le terrorisme
Enfin, le courrier mentionne le positionnement public de « membres de cette association » qui seraient « des adeptes de la théorie du complot et n’expriment aucune compassion pour les victimes du terrorisme. » : « Ainsi Madame Hammouti une des porte-parole de l’association, a t’elle-déclaré publiquement à propos des attentats effroyables de 2015 à la rédaction de Charlie Hebdo : "N’oubliez jamais que c’est Charlie qui a dégainé le premier." »
Le courrier se termine enfin par une demande de sanction : « Il me semble dès lors impératif de procéder à l’annulation de la subvention que la Commission envisageait d’attribuer au consortium dont fait partie Alliance citoyenne ».
III – Les réponses de l’association
L’association a répondu à ce courrier en deux temps :
– tout d’abord, quelques heures après la publication de l’information par le journal Le Parisien-Aujourd’hui en France, via un communiqué de l’association [6] ;
– ensuite, quelques semaines plus tard, via un texte plus détaillé, sous forme de fact-checking, donnant des « éléments de faits face aux accusations de Gérald Damanin » [7].
Ces deux réponses apportent des démentis et précisions à propos des trois grandes accusations portées dans le courrier du ministre de l’Intérieur.
1° Concernant les moyens d’actions de l’association
L’association assume et justifie ses modes d’action : « Dans ses actions passées, les femmes musulmanes membres de l’association ont demandé le droit de se baigner dans les piscines publiques en tout mixité et de pouvoir y accompagner leurs enfants. Pour faire cela en respectant leurs convictions religieuses, elles ont simplement demandé le droit de porter un maillot de bain à manches longues qui respecterait les conditions d’hygiène et de sécurité. Dans d’autres cas, elles demandent le droit de faire du sport, jouer au football ou suivre des formations tout en portant un foulard pour respecter leurs convictions religieuses. » Elle indique par ailleurs qu’à l’image de ses principes, les actions de l’association sont non-violentes et qu’elles relèvent de la désobéissance civile.
2° Concernant les accusations de complaisance avec le terrorisme et de complotisme
L’Alliance citoyenne revient plus précisément sur le cas de Mme Hammouti, explicitement mentionné dans le courrier. L’association explique : « Mme Hammouti n’a jamais "déclaré publiquement" cette phrase, mais a partagé un visuel sur Facebook la mentionnant le 9 janvier 2015 (date à laquelle elle n’était pas encore engagée avec l’association puisqu’elle est devenue membre en 2018). Cette phrase est absolument condamnable car elle encourage et justifie la haine et la violence et nie la souffrance des victimes et de leurs proches. Elle ne reflète en rien les idées et valeurs des "membres de l’association" comme le suggère le Ministre et est en désaccord total avec les valeurs de l’Alliance Citoyenne qui promeut la non-violence, une société inclusive et le respect des libertés fondamentales. Taous Hammouti ne se reconnait pas dans ces propos et a également partagé, le jour même et ceux qui suivent d’autres post condamnant fermement le terrorisme : "Contrairement à ce qu’on dit les assassins (…) c’est notre religion, nos valeurs et nos principes islamiques qui ont été trahis et souillés. Une condamnation absolue et une colère profonde contre cette horreur (…) [et] ma profonde sympathie et mes sincères condoléances pour les familles des victimes" (partagé le 10 janvier 2015). Elle s’est plusieurs fois expliquée dans la presse, et à nouveau récemment en affirmant que "sur Facebook, je partage des choses mais ce ne sont ni mes mots, ni mes propos, et je n’y adhère pas", elle reconnait que "c’était une erreur de partager cela", et rappelle qu’elle avait "exprimé à chaque attentat [ses] condoléances aux familles des victimes et dénoncé chaque attentat odieux comme tout Français". Mme Hammouti ne peut être réduite à un post partagé il y a 6 ans. Citoyenne exemplaire engagée dans son quartier, elle est parent d’élève déléguée dans les écoles, collège et lycée de ses enfants, membre active du Conseil Citoyen du Village 2 d’Echirolles, ancienne administratrice d’une fédération des parents d’élèves (FCPE), actrice dans une troupe de théâtre contre les discriminations et féministe de longue date. Il est étonnant que le ministre de l’Intérieur fasse mention de prétendus faits remontant à 6 ans, qui n’ont jamais fait l’objet d’une procédure judiciaire. Porter de telles affirmations salissant l’ensemble des membres de l’association en se basant sur un post partagé sur les réseaux sociaux est un mensonge et une calomnie extrêmement grave venant d’un Ministre. C’est une condamnation arbitraire sans jugement d’une citoyenne respectable, et une punition collective qui insulte et tente de disqualifier la parole des milliers de citoyens et citoyennes engagés bénévolement pour défendre leurs droits dans les quartiers populaires. »
3° Concernant l’utilisation du concept d’islamophobie en vue d’atteindre des objectifs cachés
L’association réitère son positionnement et rappelle le contexte et l’objectif de ce courrier du ministère : « En demandant de couper l’argent public à l’association, le ministre de l’Intérieur entrave ceux qui militent contre les discriminations subies par les personnes de confession musulmane alors même que ces discriminations sont en recrudescence [8] . En jetant l’opprobre sur les personnes, groupes et associations, cette tentative cherche en réalité à disqualifier les minorités ethniques et religieuses engagées dans la défense de leurs droits. »