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Fiche n°124

Un élu local enjoint la préfecture à couper les subventions d’une association de défense des immigrés

Présentation

En novembre 2019, Pierre Liscia, élus du XVIIIe arrondissement de Paris enjoint par écrit le préfet de ne pas verser de subvention à Assemblée citoyenne des originaires de Turquie (ACORT). En cause : la dénonciation par l’association d’un « racisme d’Etat » et la participation de son président à une marche contre l’islamophobie. L’accusation donnera lieu à plusieurs articles de presse et obligera l’association à publier une tribune de défense de son action.

Description

I - Contexte et description des faits

Le 12 novembre 2019, Pierre Liscia, élu du XVIIIe arrondissement de Paris, écrit à Michel Cadot, alors préfet d’Île de France. Dans son courrier il souhaite attirer son attention sur les subventions attribuée par la Ville à des associations qu’il juge « communautaristes ». L’Ex-élu Les Républicains en campagne pour les élections municipales de Paris vise notamment l’Assemblée Citoyenne des Originaires de Turquie (ACORT). L’association bénéficie de 5000 euros de subventions dont il souhaite l’annulation.
Dans son courrier, l’élu enjoint également le préfet d’Île de France à saisir le procureur de la République pour un dépôt de plainte contre l’association sur les mêmes fondements que ceux du préfet de la Drôme, Hugues Moutouh qui avait porté plainte en octobre 2019 contre le militant associatif de Valence Hakim Madi (voir fiche n°126).
En écho à ce courrier, les 13 et 14 novembre, les journaux Valeurs actuelles et Le Figaro publient deux articles sur l’ACORT. « Aussi outrancier et dangereux pour la cohésion nationale que soit son discours, l’association touche 5000 euros par an de subventions payées par la ville de Paris. » écrit Patricia de Sagazan le 13 novembre pour Valeurs Actuelles [1]. Le Figaro quant à lui s’interroge, le 14 novembre : « L’argent public peut-il servir à financer des associations qui entretiennent la détestation de la France et de ses forces de l’ordre ? » [2]
Cette polémique contre l’ACORT s’inscrit en toile de fond de la manifestation contre l’islamophobie du 10 novembre 2019 qui a entrainé de multiples débats et intervention.

II - Justifications de l’institution

Sur le positionnement politique et les propos de l’association

Il est notamment reproché à l’association de dénoncer un « racisme d’Etat », une politique « néocoloniale » et les « rafles » de migrants. L’article du Figaro indique d’autres propos incriminés : les « migrant·e-s chassé·e-s, torturé·e-s, traumatisé·e-s, persécuté·e-s par l’État », l’appel à manifester « contre le racisme d’État et les violences policières », qui « nous blessent, nous mutilent et nous tuent, non pas pour ce que nous faisons, mais pour ce à quoi nous sommes réduits, essentialisés, stigmatisés : des Noirs, des Arabes et des Roms. » [3]
Pour l’élu de Paris : « ces associations étaient encore tout à fait respectables il y a quelques années. Mais elles ont été noyautées par des mouvances indigénistes, décoloniales, etc., et elles tiennent désormais des propos qui devraient les exclure de facto des dispositifs de solidarité nationale et municipale. Aujourd’hui, la Ville de Paris finance ce que l’État combat ! » [4]

Participation à la manifestation contre l’islamophobie le 10 novembre 2019 et critique de la loi de 2004.

L’article du Figaro fait également mention de deux griefs : la participation de Ümit Metin coordinateur général d’ACORT à la manifestation contre l’islamophobie le 10 novembre 2019 à Paris. Ainsi que la critique de la loi de 2004 contre les signes religieux à l’école.

Sur le principe des subventions

Dans sa lettre au préfet d’Île de France, Pierre Liscia écrit : « Nul ne comprendrait que des organisations qui tiennent des discours aussi dangereux pour la cohésion nationale puissent être financés par le contribuable ». Et l’élu prolonge auprès du journal : « comme ces associations ont les mêmes interlocuteurs depuis des années, il y a une logique de reconduction automatique des aides, déplore le parlementaire. Cette convention, on aurait pu la dénoncer depuis 2017 ! On pourrait même demander le remboursement des sommes perçues : les associations qui propagent une haine explicite de la France et des Français doivent rendre leur argent aux Français. »

III - Justifications de l’association

Une association « progressiste », « laïque » qui lutte « contre toutes les formes de racisme »

Dans un communiqué publié le 19 novembre 2019 et signé par plus de 50 organisations, syndicats et partis politiques, l’association s’inscrit en faux sur les accusation de communautarisme et réaffirme ses positions politiques et les principes qui guident leurs actions : « Les Associations issues de l’immigration et des luttes de l’immigration s’unissent et se mobilisent contre toutes les formes de racisme, dont l’islamophobie ! Cela dérange ! On les attaque ! L’ACORT est une association progressiste et laïque, qui œuvre depuis plus de 40 ans dans le 10e arrondissement de Paris. Elle est une actrice au sein du mouvement associatif de l’immigration dans sa diversité mais aussi une interlocutrice incontournable de la vie associative du 10e. L’ACORT a pour objectif de lutter contre toutes les formes de discriminations, et de racismes. Elle lutte contre tous les nationalismes et les fondamentalismes. Défenseur des droits des populations immigrées et issues de l’immigration, elle œuvre pour l’accès aux droits et à l’égalité des droits pour tout.e.s. Association de proximité ayant une expertise concernant les populations issues de l’immigration (plus de 60 nationalités dans le 10e), elle organise différentes activités socio-culturelles ouvertes à tout.e.s pour répondre aux besoins de l’ensemble des habitant.e.s de l’arrondissement. Tout cela, L’ACORT le porte par la défense de nos valeurs de laïcité, des droits humains, de l’égalité femmes-hommes et de liberté particulièrement au sein de la population des originaires de Turquie. » [5]

Les « associations de défense des droits humains » comme meilleur rempart contre le « fondamentalisme »

« Aujourd’hui derrière cette manœuvre, derrière ces attaques, un seul objectif faire taire les associations, la société civile et plus particulièrement les populations d’origines étrangères qui s’organisent dans leurs diversité pour dénoncer les inégalités et prendre en main leurs destins.
Que nos détracteurs en soient assurés. La disparition des associations de défense des droits humains laissera la place à d’autres qui avec le soutien de pays étrangers renforceront le fondamentalisme. Les attaques dont nous avons été la cible par des proches du gouvernement turc comme "des gauchistes pro-kurdes qui essaient de récupérer la lutte contre l’islamophobie" en sont la preuve.

Une atteinte à la liberté d’expression

Concernant la participation à la manifestation contre l’islamophobie du 10 novembre 2019, le coordinateur de l’association assume : « Il faudrait supprimer des subventions à L’ACORT, comme à des dizaines d’autres associations, sous prétexte qu’elles ont apporté leur soutien à une manifestation contre l’islamophobie. C’est une atteinte à la liberté d’expression et démontre que plus que jamais que nous devons nous unir pour ne pas subir ! » [6] Concernant ses positions sur la loi de 2004 également : « Le racisme d’État, c’est la loi de 2004. Pour quelques cas seulement, on a stigmatisé tous les croyants, les personnes de culture musulmane et fragmenté la société française. » [7]

Institution responsable

Pierre Liscia, conseiller municipal de la ville de Paris

Conséquences pour l’association

Menaces de coupure de subventions

Date