Fiche n°117

Fermeture de la Meo High School Paris : des accusations de « séparatisme » non étayées

Présentation

La Meo High School (MHS) Paris est un établissement scolaire privé créé en 2015. Il a été fermé administrativement le 23 novembre 2020 pour des défauts de sécurité du bâtiment et une entrave à la Loi Gatel. Pourtant dans une déclaration conjointe de la Préfecture de police et du Parquet de Paris, le 9 décembre 2020, jour de la présentation en Conseil des ministres du projet de loi « confortant le respect des principes de la République », les deux institutions affirment que l’un des motifs de la fermeture relève en réalité de la lutte contre le « séparatisme » justifiée par « l’ancrage communautaire » de l’établissement. Sans pour autant donner d’éléments probants en ce sens.

Description

I - Contexte : soupçons de « communautarisme » et polémiques politico-médiatiques

Créée en 2015, la MHS Paris est un établissement scolaire privé hors-contrat composé d’un collège et d’un lycée et constitué en association loi 1901 à but non lucratif, lui conférant un support juridique à son activité. Initialement créé avec l’ambition de promouvoir une « éthique musulmane », il accepte les signes religieux, dont le voile, et permet aux élèves de prier sur les temps de pause comme le font d’autres établissements privés, catholiques par exemple. Immatriculé auprès de l’académie de Paris, il respecte les programmes de l’éducation nationale. Il était au moment de sa fermeture composé d’une centaine d’élèves et d’une équipe de 18 enseignants. Contrôlé à plusieurs reprises tant au niveau des règles de sécurité de ses locaux qu’à celui des enseignements dispensés, il est, selon des sources académiques rassemblées par Médiapart [1], suivi depuis plusieurs années par la Cellule de lutte contre l’islam radical et le repli communautaire (Clir).
La fin de la procédure de fermeture de l’établissement prend place dans un contexte politico-médiatique de fortes tensions sur la question de la lutte contre le terrorisme et le « séparatisme ». L’assassinat de Samuel Paty, enseignant à Conflans-Sainte-Honorine, le 16 octobre 2020, entraine de vifs débats sur les modalités d’action contre le terrorisme islamique. A noter que l’audience de MHS Paris a eu lieu le 28 octobre 2020, soit deux semaines après l’assassinat de Samuel Paty. Le jugement a été rendu le 18 novembre 2020 et le maximum de la peine prévue par les textes de loi a été prononcée contre l’école et sa directrice. La discussion devant les deux chambres du parlement du projet de loi confortant les principes républicains, appelé « loi séparatisme », donne également une tournure particulière à cette affaire. En raison notamment d’un volet de cette loi qui concerne directement l’éducation (la formation des enseignants, l’instruction à domicile...) et tout particulièrement la fermeture administrative des écoles hors contrat, sans attendre l’intervention du juge pénal.

II- Caractérisations de la répression : entre problèmes logistiques et soupçons de « séparatisme »

Suite au déménagement de l’établissement dans de nouveaux locaux du XIXe arrondissement en août de l’année 2019, la préfecture de police de Paris envoie un courrier, le 24 janvier 2020, pour préciser « ne pas être en mesure d’autoriser ce projet ». La décision est motivée par le fait que l’établissement ne remplit pas certaines conditions de la loi Gatel de 2018 qui encadre les établissements hors-contrat. Il est notamment reproché à l’établissement de manquer d’issues de secours dans les parties communes et de ne pas posséder de système de sécurité individuel car l’existant est commun à tout l’immeuble. Un nouveau dossier est envoyé par l’établissement pour pouvoir constituer un ERP (établissement recevant du public) de cinquième catégorie.
Dans un courrier du 22 juillet 2020, la préfecture maintient son opposition à l’ouverture de l’établissement invoquant « une notice de sécurité à améliorer, le nombre d’issues de l’immeuble, le sens d’ouverture des portes, le dégagement du réfectoire et le système incendie commun à tout l’immeuble. » Ayant répondu aux notifications de la préfecture via l’envoi d’un troisième dossier, l’établissement ouvre ses portes pour la rentrée 2020-2021. Le 14 novembre 2020, une seconde procédure est diligentée par la Préfecture pour les mêmes faits d’ouverture non-autorisée ainsi que pour avoir employé « deux personnes de nationalité étrangère hors Union européenne exerçant en qualité d’enseignants sans autorisation du rectorat ».
Le 18 novembre 2020, condamnation par le tribunal correctionnel de Paris pour ouverture d’un établissement hors-contrat malgré des oppositions administratives. La directrice de l’établissement est condamnée à une interdiction d’enseigner ou d’ouvrir un établissement pendant cinq ans ainsi qu’à 5 000 euros d’amende. L’association, support juridique de MHS, est condamnée à 15 000 euros d’amende. Le 7 décembre 2020, la MHS Paris publie un communiqué annonçant sa fermeture et la déscolarisation de 110 élèves.
Le 9 décembre 2020, un communiqué de presse signé conjointement par la préfecture de police et par le parquet de Paris annonce la fermeture de l’établissement suite à des opérations de contrôle administratif qui « ont permis de diligenter une enquête à l’issue de laquelle les dirigeants de cet établissement ainsi que l’association qui est le support juridique de l’activité ont été condamnés pour des faits d’ouverture et de direction d’un établissement scolaire privé malgré une opposition administrative. » [2] Ce jour de présentation en conseil des ministres du projet de loi « confortant les principes républicains », le communiqué insiste sur un autre motif absent des procédures ayant conduit à la fermeture. « Ces opérations de contrôle administratif ainsi que les enquêtes judiciaires diligentées à l’encontre des établissements contrevenants à la réglementation en vigueur illustrent pleinement l’implication des pouvoirs publics dans la lutte contre toutes les formes de séparatisme. » [3] Le même jour, la presse embraye : « Paris : l’étrange fermeture d’une école "islamiste" que "personne ne connaît" », titre Le Parisien [4]. Le lendemain pour Le Figaro : « Séparatisme : une école hors contrat fermée » [5]

III- Point de vue de l’institution

1° L’ouverture illégale de l’établissement à la rentrée 2020-2021 et embauche d’enseignant sans l’aval du rectorat

Pour les institutions en cause – le Ministère de la Justice et la Préfecture de police – différents éléments ont constitué la justification de la fermeture de l’établissement MHS Paris. Suite au contrôle administratif du 17 novembre 2020 faisant suite au signalement du 14 novembre par le rectorat [6], une activité scolaire au bénéfice de 92 élèves a été relevée contrevenant à l’opposition administrative. Par ailleurs, plusieurs irrégularités ont été relevées notamment « la présence de deux personnes de nationalité étrangère hors Union Européenne exerçant en qualité d’enseignants sans autorisation du Rectorat. » [7]
Alors que l’établissement a été interdit d’ouverture en janvier 2020 et encore une fois en juillet 2020, sa réouverture à la rentrée scolaire 2020-2021 est considérée comme illégale par les institutions en cause.

2° Changement d’appellation et déménagements successifs

Un cadre du rectorat explique à Médiapart que certains éléments autour de cet établissement « troublaient ». En cause, des déménagements successifs – trois fois – et un changement d’appellation. Il assure qu’« officiellement, nous avons demandé sa fermeture pour le non-respect des normes de sécurité » bien que « des suspicions pesaient » [8] sans pour autant expliciter ces dernières.
Par rapport au changement de nom, un contrôle administratif en mai 2017 s’interroge sur la présentation du lycée comme à « éthique universaliste » à défaut de « éthique musulmane ». Pour les inspecteurs, « modifier la seule caractérisation de l’établissement sans toucher à son recrutement et à sa pratique globale reviendrait à entretenir une ambiguïté difficilement compatible avec la nouvelle appellation. » [9]

3° L’ancrage « communautaire » et/ou « séparatiste » des enseignements

Afin de justifier du caractère « séparatiste » ou de l’ancrage « communautaire » de MHS Paris, certaines déclarations établissent un lien entre cet établissement scolaire et une instruction confessionnelle, sans preuve apparente.
Gilles Pécout, ancien recteur de l’académie de Paris a affirmé le 24 Février 2020 devant une commission d’enquête du Sénat : « À Paris, il n’existe qu’une école confessionnelle musulmane, située dans le XIXe arrondissement. Nous la suivons de près et la présente audition n’a pas modifié nos procédures de suivi. Le site de cette école commence par une déclaration vertueuse relative aux valeurs de la République et la laïcité. C’est ensuite le contrôle des contenus d’enseignement qui pose problème. » Par ailleurs, une déclaration anonyme d’une source policière insiste : « Cet établissement à éthique musulmane est suivi par la Cellule de lutte contre l’islam radical et le repli communautaire (Clir) parisienne depuis plusieurs années. Plusieurs contrôles administratifs ont mis en exergue son ancrage communautaire. »
Par ailleurs, cet « ancrage communautaire » serait d’autant plus appuyé par l’accueil de l’Institut européen des sciences humaines de Saint-Denis, surnommé « l’école des imams » qui a également fait l’objet d’une fermeture administrative pour des raisons de sécurité.

IV- Point de vue de l’association

1° Sur le projet général de l’association

Hanane Loukili, la directrice pédagogique de l’établissement, se dit être victime « d’une décision politique pour argumenter la nouvelle loi contre le séparatisme [...] Que notre école soit qualifiée d’islamiste, de séparatiste ou de clandestine, c’est n’importe quoi et ça fait mal ». Afin d’expliciter la démarche de Méo High School, elle explique que « Nous acceptons les filles voilées, certains élèves pratiquants peuvent prier sur les temps de pause, mais nous suivons strictement les textes de l’éducation nationale. [...] Il y a des jeunes catholiques aussi. » [10]

2° Sur l’ouverture illégale de l’établissement à la rentrée 2020-2021 et l’embauche d’enseignant sans l’aval du rectorat

Afin de justifier de l’ouverture de l’établissement, la direction de l’établissement explique que « chaque courrier précisait que nous avions deux mois pour nous opposer aux observations, c’est ce qui explique que nous ayons décidé de laisser ouvert le lycée tout en prenant en compte leurs observations ». De plus, il est nécessaire de rappeler « qu’avec le confinement les choses ont tardé et beaucoup de cours ont eu lieu à distance » [11].
Par rapport à « la présence de deux personnes de nationalité étrangère hors Union Européenne exerçant en qualité d’enseignants sans autorisation du Rectorat. » [12], la directrice conteste vivement ce point et affirme avoir déclaré ces deux enseignantes. D’après des documents que Mediapart a pu vérifier, leur visa de travail avait été renouvelé en 2020 et leurs noms ont été communiqués à l’académie de Paris.

3° Sur le changement de nom et les déménagements

L’équipe dirigeante de MHS Paris justifie le changement d’appellation du lycée d’une éthique « musulmane » à une éthique « universaliste » par la volonté d’avoir « un public qui correspond davantage aux valeurs portées par MHS. » Certains parents plus rigoristes reprochaient au lycée de ne pas être « assez musulmans pour eux. » Un renouvellement de l’équipe – la quasi-totalité du corps enseignant « sauf deux » – a accompagné ce changement d’appellation et l’équipe dirigeante assure appliquer à la lettre un enseignement « universaliste » destiné « aux étudiants en difficulté » ou « stigmatisés » dont les élèves musulmans font partie. « La religion n’est pas un critère de recrutement » [13] insiste Hanane Loukili.
Par ailleurs, c’est en raison du succès de l’école et de la forte affluence durant les premières années - de 18 élèves à 110 entre 2015 et 2020 - que MHS Paris a dû déménager à trois reprises. D’abord situé à Montparnasse dans le XIVe arrondissement, il a déménagé à la porte d’Ivry, dans le XIIIe, pour finalement atterrir dans le XIXe, rue Goubet, à Paris.

4° Sur les accusations quant au caractère communautaire des enseignements

La MHS Paris a subi des contrôles réguliers depuis sa création en 2015 « de la part d’agents du rectorat, de l’Urssaf et de la préfecture de police » qui contrôlait différents points : « Les programmes et l’enseignement délivrés aux élèves, le respect des normes de sécurité et le profil des enseignants, par exemple. » Certaines des conclusions de ces contrôles sont à noter : « il ressort que les élèves ont, dans cet établissement, accès au droit à l’éducation tel que défini par l’article L. 131-1 du code de l’éducation », « Aucun enseignement religieux n’est dispensé dans cet établissement ni ne figure à l’emploi du temps des élèves », « la participation à un forum des métiers a été organisée dans le cadre de la mise en place du parcours avenir […] ainsi que des sorties au Mémorial de la Shoah à Drancy, au musée du Louvre et au palais de justice » . Si des améliorations sont à noter, elles ne concernent nullement le programme ou les cours dispensés, mais le parcours d’orientation post-bac ou les installations sportives ou encore la conformité du plan de sécurité des bâtiments.
Le 19 novembre 2020, Hanane Loukili a sollicité le rectorat, par un mail annuel de déclaration de la liste des professeurs enseignant dans l’établissement, concernant certains problèmes avec 3 élèves ayant refusé de participer à une sortie scolaire à la cérémonie du ravivage de la flamme sous l’Arc de Triomphe et « qui tenaient des discours allant à l’encontre de nos valeurs. » La directrice demande une rencontre avec le rectorat afin « de vous signaler quelques problématiques que nous avons relevées et qui sont dangereuses pour notre pays et l’éducation de nos jeunes. Notre objectif étant de répondre à notre devoir citoyen, mais aussi de protéger les jeunes de certaines dérives » [14]
De plus, le 24 février 2020, un mail de la direction de MHS Paris a été envoyé aux parents d’élèves alertant sur le prosélytisme dans leur milieu scolaire et appelant à éviter le jugement et le prosélytisme religieux. En effet, « des parents nous ont interpellés car des filles voilées de l’école font des réflexions (rabaissement) à leurs camarades non voilées quant à leur foi et à l’obligation de porter le voile. » Des sanctions sont envisagées par la direction si ces événements se reproduisent.
MHS Paris a accueilli l’Institut d’études des sciences humaines de Saint-Denis « uniquement pour des raisons financières » et ont « mis fin à cela deux mois plus tard » dès que la direction a compris « qu’ils étaient dans le viseur des autorités ». Hanane Loukili insiste que « son établissement n’a rien d’un établissement confessionnel ou prosélyte » [15].
MSH Paris a publié deux communiqués en décembre 2020, le 7 décembre et le 11 décembre. Le premier communiqué annonce la fermeture de l’établissement en raison d’une « inspection interministérielle en date du 17 novembre 2020, durant laquelle nos élèves se sont retrouvés entourés d’une quarantaine de contrôleurs, inspecteurs, et agents ministériels dont de nombreux policiers ». La fermeture est justifiée par des observations de « failles liées à la sécurité du bâtiment ». Toutefois, MHS Paris n’est pas la seule structure à accueillir du public, qui plus est, des enfants, dont certains en situation de handicap, c’est toutefois la seule structure qui se voit poursuivie et condamnée. La direction insiste que « ce sont 110 élèves qui se retrouvent immédiatement déscolarisés en plein milieu d’année [...]. Notre équipe pédagogique de 18 personnes se retrouve sans emploi. [...] Notre cheffe d’établissement encourt une lourde condamnation pénale à fortiori injuste. »
Le deuxième communiqué répond au communiqué de presse signé conjointement par la Préfecture de police et le parquet de Paris. Méo High School Paris déplore au sein de ce communiqué une décision politique et « la déformation du sens d’une décision de Justice par le parquet de Paris », L’établissement scolaire « regrette l’instauration d’un lien trompeur et infondé entre la procédure évoquée et les notions d’islamisme et de séparatisme ». Ils estiment que ce communiqué de presse « apparaît de nature à porter gravement atteinte à son [MHS Paris] honneur, à son intégrité et à sa considération. » [16]

Institution responsable

Préfecture de police et Parquet de Paris

Conséquences pour l’association

Fermeture de l’établissement

Date