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Fiche n°32

Perte de convention et coupure de subvention pour une association étudiante d’aide aux détenus

Présentation

Depuis 1976, l’association étudiante Genepi intervient dans les prisons pour assurer des activités scolaires, des ateliers d’éducation populaire et socio-culturels auprès des personnes détenues. En décembre 2018, l’association s’est vue retiré sa convention et ses 51 000 euros de subvention annuelle par le ministère de la Justice. La raison : ses prises de positions sur la politique pénitentiaire assimilées à « un dénigrement permanent » par le ministère.

Description

Printemps 2017 :
La Direction de l’administration pénitentiaire (DAP) décide, une première fois, de réduire la subvention du Genepi de 52 000 à 30 000 euros. Mais le garde des sceaux de l’époque, Jean-Jacques Urvoas, maintien finalement son soutien à l’association.

20 septembre 2018 :
Suite à une validation du cabinet de la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, Romain Peray, sous-directeur des missions à la DAP, informe le Genepi que la convention triannuelle qui les liait depuis des décennies ne serait pas renouvelée. Comprendre : perte de ses accès aux locaux de l’administration pénitentiaire et perte de sa subvention de 51 000 euros.
L’AP et le ministère de la Justice justifient cette décision par plusieurs faits. Tout d’abord, les actions de l’association se sont transformées. En quatre ans, le volume des interventions de l’association est passé de 12 474 heures à 5 825 heures pour l’année universitaire 2017-2018. L’association explique avoir mis en place plus d’activités extra-scolaires (sportives, socio-culturelles, loisirs) que d’activités scolaires car elle ne veut pas se substituer à l’Education Nationale. Elle constate également que ces activités extra-scolaires dérangent par l’ouverture d’esprit et la capacité de réflexion qu’elles amènent. Par ailleurs, le Genepi évoque des conditions d’intervention qui se dégradent : elle explique refuser d’intervenir si les détenus sont fouillés avant ou après l’atelier ou s’il y a des caméras ou un surveillant dans l’atelier.
Ces changements d’action ont entrainé un changement de statuts. L’association a en effet modifié son objet social en 2011 : il ne s’agit plus de favoriser la réinsertion des détenus mais d’œuvrer « en faveur du décloisonnement des institutions carcérales par la circulation des savoirs entre les personnes incarcérées, le public et ses bénévoles ». En 2014, l’article prévoyant « l’enseignement aux personnes incarcérées » a ainsi été remplacé par un autre, que le ministère considère comme « flou » : « le décloisonnement des institutions carcérales par la circulation des savoirs ».
Mais c’est avant tout les positions publiques de l’association contre les politiques mises en place par l’administration pénitentiaire et à propos des conditions de détention qui sont en jeu. Tout d’abord, les propos tenus par l’association dans son journal Passe Muraille. Mais aussi les campagnes de 2016, « La prison nuit gravement à la société » et de février 2017, « l’Etat enferme, la prison assassine ».

29 octobre 2018 :
Déclaration officielle du ministère de la Justice à propos de l’association Genepi, dans un article de Libération :

« C’est le modèle même de la détention qui est ici attaqué. Cette position peut être exprimée, en revanche il n’est pas cohérent pour nous de subventionner une association qui s’attaque aux fondements mêmes de notre institution (…) La posture de dénigrement permanent du Genepi est très mal perçue par les personnels. »

5 novembre 2018 :
Invitée sur la matinale de France Inter, Nicole Belloubet, ministre de la justice s’exprime sur le sujet :

« Alors même que le Genepi avait pour mission de faire un nombre important d’heures d’enseignement en détention, ce nombre d’heure à considérablement diminué, il est passé de 12000 à 5000 heures en quelques années, en deux ou trois ans. Et, par ailleurs, le Genepi développait des thèses qui sont très hostiles à la politique publique que nous conduisons. Autrement dit des thèses qui allaient même jusqu’à lutter contre la mise en place de régimes de confiance que nous avons élaborés dans un certain nombre de prisons, des régimes de confiance qui permettent aux détenus d’être plus autonomes, de circuler librement dans une zone de l’établissement de détention, d’accomplir un certain nombre d’activités, etc. Donc ce n’était plus une politique partenariale sur les ambitions que nous avions mais une politique au contraire d’opposition quasiment frontale et permanente. Donc j’ai pris une décision qui est de supprimer la subvention mais bien entendu, j’autorise toujours l’accès du Genepi aux établissements s’ils le veulent et s’ils le souhaitent. »

En réponse, l’association a fortement communiqué sur sa situation dans la presse ainsi que par le biais de plusieurs communiqués sur son site internet. Une vague de soutien s’est diffusée sur les réseaux sociaux via le #laPrisonseFerme.

14 février 2019 :
Cinq mois après la décision de rupture du partenariat entre l’association et l’AP, une convention triannuelle, validée par le cabinet de la ministre de la Justice suite à une négociation avec Albin Heuman, conseiller « dialogue social et modernisation » de Nicole Belloubet, est finalement signée entre l’association et Stéphane Bredin, directeur de l’AP. La subvention de 51 000 euros n’est pas rétablie et l’association renonce à ses interventions socio-culturelles ou sportives. Mais elle pourra de nouveau entrer dans les prisons.

Type d'action collective sanctionnée

  • Un discours : prises de positions publiques contre la politique de l’Administration pénitentiaire.

Institution responsable

Ministère de la Justice et Administration pénitentiaire

Conséquences pour l’association

  • Arrêt des interventions dans les prisons.
  • Énergie militante déployée à défendre l’association.
  • Réorganisation financière et comptable.

Sources

Articles de presse :

Date